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à peine mouver sa panse, — si mafflu que l’on ne voit plus — ses petits yeux louches — cachés sous ses triples bajoues de graisse, — dis, n’est-il point vrai qu’alors — la longue figure devient large, — tant tu jubiles, tant tu l’éjouis d’admiration — en parlant de ce gras et incomparable porc ? — D’où vient donc alors, ami, que tu ne jubiles point — en parlant de monseigneur ? — de monseigneur notre gouverneur ?

(Les gens de la noce accueillent par de grands éclats de rire cette allusion de Madok-le-Meunier à l’énorme obésité de M. le duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne, surnommé par la population : le gros cochon et exécré de toutes les classes, en raison de son inflexible dureté, de ses hauteurs et de ses exactions. Paskou-le-Long laisse se calmer l’hilarité des assistants et reprend :)

— Certes, ami Brotaër, je m’éjouis fort — à la pensée d’un gros et honnête porc, — lorsque sa profitable personne — doit tenir belle place au saloir ; — mais las ! quand je songe à un gros verrat, — méchant et improfitable verrat, — qui s’empâte, s’empiffre, s’engraisse — de ma pauvre maigre pitance, — en retour de quoi le goinfre me grogne, — me bourre de coups de groin et me mord, — est il étonnant que ma longue figure — s’allonge encore et s’attriste ? — Et cependant ce n’est point là, non, ce n’est point là — la plus grande cause de mon chagrin.

madok-le brotaër. — Quelles sont les causes de ton chagrin ? — parle, dis-les-moi, ami Baz-valan.


paskou-le long-le baz-valan. — En mon colombier j’avais un beau pigeon — au plumage changeant, couleur du temps ; — j’avais aussi une petite colombe blanche, — l’amour constant de mon beau pigeon. — Mais, las ! elle s’est envolée, ma colombe ; — elle s’est envolée de mon colombier. — Ne l’as-tu point vue, ami, voleter de ce côté ?

madok-le brotaër. — Non, ami, non, je n’ai pas vu ta colombe.


paskou-le long-le baz-valan. — Des voisins, cependant, m’ont assuré — qu’elle s’était abattue dans ton verger. — Je t’en prie, ami, va t’informer de ma petite colombe, — sinon mon pauvre pigeon, je te le dis, — mourrait de tristesse en mon colombier.

madok-le brotaër. — Afin de te satisfaire, ami, — je vais à la recherche de ta colombe.

(Le Brotaër, en disant ces mots, rentre dans la maison de la fiancée, ferme la porte, et la rouvre au bout d’un instant, tenant et conduisant par la main une petite fille de cinq à six ans ; il la présente au Baz-valan et lui dit :)

— En mon verger, je suis allé ; — je n’y ni pas vu ta colombe, — mais plusieurs frais boutons d’églantier (montrant l’enfant) : — voici l’une de ces fraîches petites roses ; — elle réjouira les yeux de ton pigeon, — et il sera consolé de sa tristesse.

paskou-le long-le baz-valan embrasse l’enfant et répond : — Fraîche et charmante est la petite rose, — mais mon pigeon est trop chagrin, — trop chagrin il est de la perte de sa colombe, — pour l’oublier à la vue d’une fleurette, — tant joliette qu’elle soit. — Va donc voir, ami, si d’aventure — ma colombe ne se serait pas abritée dans ton grenier ?

madok-le brotaër. — Sois satisfait, mais aussi vrai — que chaque fois qu’il sort… — la bonne et vieille mère — du féroce marquis de Gwerrand — sonne en pleurant et gémissant — la cloche d’alarme du château — pour avertir ses vassaux — de se