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— Ah ! ce meurtre est affreux ! — s’écria M. de Zuillestein, saisi d’indignation et d’horreur. — Votre Altesse ordonnera sans doute des poursuites contre les assassins ?

— Des poursuites ? — reprit le prince en attachant son œil morne et vitreux sur M. de Zuillestein. — Non, monsieur ! je défends toute poursuite au sujet de ce meurtre… Vous ordonnerez à M. Maasdam de dire à MM. du collège des États que je regarde toute recherche relative à cet accident comme dangereuse au repos public. — Et, s’adressant à son chapelain, le prince ajoute avec componction :

— Monsieur, vous ordonnerez des prières pour l’âme de MM. de Witt.

Ainsi, ce jeune prince, comblé par Jean de Witt de preuves de bonté paternelle, s’opposait à ce que l’on recherchât les meurtriers des deux frères… Ainsi, ce jeune prince, un mois auparavant, avait donné refuge dans son camp à trois des assassins du grand pensionnaire de Hollande et refusé leur extradition. Ces précédents n’autorisent-ils pas à croire que le misérable délateur de Corneille de Witt, accusé de projeter la mort de Guillaume d’Orange, était un instrument de ce prince ? N’est-il pas enfin évident que les orangistes, exploitant, exaspérant avec une habileté infernale l’aveugle ressentiment du peuple contre MM. de Witt, provoquèrent le massacre de ces deux grands citoyens ? Quel était leur crime ? Ils avaient toujours combattu l’influence de la maison d’Orange, qu’ils regardaient comme funeste à la république ! ils avaient eu foi au serment de Louis-le-Grand ; ils avaient cru à la loyale exécution des traités ; ils avaient cru surtout à la sincérité, à la durée de l’alliance française, qu’il était tellement dans les véritables intérêts de cette nation de toujours maintenir, que la rupture de cette alliance amena la coalition de l’Europe contre Louis XIV, coalition dont Guillaume d’Orange fut l’instigateur implacable, et qui, plongeant la France dans des guerres désastreuses, l’épuisa, la ruina et faillit enfin amener son démembrement !