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bientôt, soutenant, portant presque entre ses bras mademoiselle de Plouernel : elle avait perdu conscience d’elle-même et répétait avec égarement :

— Il est mort… J’ai causé sa mort ! Ils l’ont tué !

Salaün Lebrenn, en s’élançant au secours de son fils, se heurta dans le corridor contre le boucher qui accourait, disant à sa bande de le suivre à la recherche des fugitives.

— Misérable, tu as tué mon fils ! — s’écrie Salaün qui, très-robuste, très-agile, et encore dans la vigueur de l’âge, saisit, au milieu de l’obscurité, le boucher à la gorge et le renverse sous lui ; une lutte acharnée s’engage entre eux, obstrue l’étroit passage et empêche les compagnons du boucher de s’avancer ; il ne peut heureusement faire usage de son couteau contre Salaün Lebrenn. Celui-ci, tout en luttant, tâche de se traîner jusqu’au corps de son fils qu’il appelle, hélas ! en vain ! ! Nominoë ne répond pas… Tout à coup une clarté rougeâtre, venue du salon, se projette dans le corridor… où pénètre en même temps une forte odeur de brûlé… Quelques hommes de la bande du boucher, à moitié ivres… venaient de mettre le feu aux rideaux de l’appartement…

— Les enragés incendient la maison ! ! nous serons rôtis tous deux si tu ne me lâches pas ! tu es plus fort que moi… je m’avoue vaincu, — dit d’une voix haletante le boucher à Salaün Lebrenn. Celui-ci, redoutant un double danger pour son fils, qui, peut-être, vivait encore, cesse la lutte. Le boucher se relève, et passant sur le corps de Nominoë, s’enfuit à travers le salon, dont les rideaux flambaient… Salaün, voyant les progrès de l’incendie, puise dans l’amour paternel une force surhumaine, relève son fils, baigné dans son sang et étendu sans mouvement, le charge sur ses épaules, gagne l’escalier dérobé, la cour, la ruelle, et là seulement, se croyant en sûreté, il dépose son précieux fardeau, ne sachant encore si son fils est mort ou vivant. Béni soit Dieu ! Salaün Lebrenn sentit battre encore le cœur de Nominoë ! !