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— Cette salle a deux sorties ; courons, rattrapons les Françaises !

Ce disant, le boucher s’élance et pousse la porte… elle résiste… mais à l’espèce d’élasticité de cette résistance, il sent qu’elle n’est causée ni par un verrou, ni par un pêne, mais par la pression d’un corps humain. En effet, Nominoë, s’apercevant que la porte ne se pouvait verrouiller du côté du couloir, s’était vigoureusement arc-bouté le dos au panneau supérieur, les jambes roidies et les pieds appuyés à chaque paroi de l’étroit passage. Ce fut ainsi qu’espérant assurer la fuite de cette belle jeune fille qu’il venait de reconnaître pour être l’une des passagères du brigantin sauvé par lui du naufrage, Nominoë parvint à maintenir la porte fermée malgré les efforts du boucher. Furieux de cette résistance inattendue, il s’écria :

— Une hache… une hache !

— Faisons mieux, — dit un autre ; — la porte est mince, tirons dessus à bout portant ! les balles traverseront le bois et tueront l’homme !

Cet avis prévalut. Trois mousquets s’abaissèrent et firent feu sur la porte.

Pendant ces incidents, plus rapides que la pensée, les fugitifs, suivant les pas de Serdan, avaient traversé le couloir et descendu les degrés d’un escalier dérobé. Il conduisait à une petite cour intérieure ayant issue sur une ruelle où aboutissaient plusieurs passages sombres et voûtés, communs à La Haye. Serdan connaissait depuis longtemps les êtres de l’habitation de M. de Tilly, et voulant tenter de soustraire mademoiselle de Plouernel à un terrible danger, il avait songé à la chance de salut que pouvait offrir l’issue pratiquée derrière la maison et probablement ignorée des assaillants. L’espoir de Serdan était d’autant mieux fondé qu’en arrivant dans la ruelle il rencontra les serviteurs de M. de Tilly, qui fuyaient par le passage dérobé, sans être poursuivis. Mademoiselle de Plouernel, accablée déjà par les douloureuses émotions de ce jour, et terrifiée par les effroyables rumeurs du boucher, en ressentit une commotion si sou-