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dations de M. de Tilly, tenaient depuis le matin hermétiquement fermés les rideaux des fenêtres, et s’étaient abstenus d’y paraître malgré le tumulte qui régnait dans la ville et dont les rumeurs croissantes parvinrent plus d’une fois jusqu’à eux. L’abbé, debout près de l’une des croisées, essayait, en écartant légèrement les rideaux, de jeter sur la place un regard inquiet et furtif ; mais la marquise lui cria :

— Prenez garde… l’abbé… pas d’imprudence !

Mademoiselle de Plouernel, assise, rêveuse, à l’autre extrémité de la salle, songeait avec une douleur amère aux odieux desseins que sa famille n’avait pas craint de former sur elle, et restait complètement étrangère à ce qui se passait au dedans et au dehors de l’appartement.

— Eh bien, l’abbé ! — disait madame du Tremblay, — voyez-vous quelque chose sur la place ? Le tumulte semble s’apaiser depuis les dernières mousquetades que nous avons entendues au loin !

— Je ne puis, à travers l’entre-bâillement des rideaux, découvrir qu’une partie de la place… Elle paraît déserte en ce moment, et…

— Qu’avez-vous, l’abbé ? pourquoi vous interrompre ?

— Écoutez, marquise… écoutez…

— Je n’entends rien.

— Mais, moi, j’entends… Ah ! mon Dieu !

— Qu’y a-t-il ? — dit vivement la marquise, se levant à demi. — L’abbé… répondez donc… qu’est-ce ?

— Un effroyable tumulte… Les cris d’un nombreux rassemblement… il s’approche.

— En effet, — reprit madame du Tremblay, — ces clameurs arrivent maintenant jusqu’à moi.

— Marquise ! — s’écria l’abbé devenant blême et s’éloignant précipitamment de la fenêtre, — nous sommes perdus !

— Que dites-vous !

— Une foule d’hommes effrayants, armés de piques, de haches, viennent de déboucher sur la place… Ils crient : Mort aux Français ! … Tenez… tenez… les entendez-vous ! !