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populaire contre la prison fut si spontané, s’effectua si résolument, que les cavaliers de M. de Tilly, d’abord assaillis par une grêle de pierres, aux cris de : — Mort au parti français ! — durent, pour sauvegarder leur vie, mettre le sabre à la main ; ils allaient tenter de se dégager en chargeant leurs adversaires, lorsque soudain déboucha sur la place, tambour battant et acclamée par des vivats sympathiques, une compagnie d’infanterie de milice, dite du Drapeau-Bleu. Elle appartenait au parti orangiste. Cependant le capitaine de cette milice couvrit d’abord la retraite de la cavalerie, et déclara ensuite à M. de Tilly qu’afin d’éviter l’effusion du sang, dans un conflit avec la population, le conseil des États envoyait la compagnie du Drapeau Bleu prendre la garde de la prison et relever la cavalerie de ce poste. M. de Tilly dut obéir et, l’âme navrée, abandonner la châtellenie, ne doutant pas de son prochain envahissement, grâce à l’inertie calculée ou à la connivence d’une compagnie d’orangistes ; or l’envahissement de la prison… c’était la mort des frères de Witt. La cavalerie quitta la place au milieu des huées, des menaces, et les plus forcenés s’écrièrent :

— Après les de Witt, Tilly aura son tour ; nous savons sa demeure !…

— Il loge chez lui des Françaises, des grandes dames, — ajouta une voix. — Hier, je les ai vues au balcon !

— Massacre et tuerie ! Que la foudre m’écrase, si je ne venge pas ma sœur sur ces Françaises ! — s’écria le boucher ; — mais avant saignons les de Witt ! la prison est à nous ! les drapeaux bleus sont des nôtres !

Ces menaces du boucher, qui indirectement s’adressaient à mademoiselle de Plouernel et à sa tante, furent entendues de Serdan, de Salaün Lebrenn et de son fils, qui, revenus sur la place et entraînés par le flot de la foule, s’avançaient aussi vers la prison. Ils avaient en vain tenté de réaliser la promesse faite à M. de Tilly, de veiller sur les jours de Jean de Witt. Celui-ci ayant, sous la conduite