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exaltation féroce ; puis, tirant de sa ceinture son long couteau, il le brandit en s’écriant : — Massacre et tuerie ! à défaut du roi de France, je saignerai ses bons amis de Hollande !

— Oui, oui ! — à mort les de Witt ! — à mort les complices de Louis XIV ! — répondit la foule, dont l’exaspération devenait inexprimable. — Mort aux traîtres ! — Que le sang qui a coulé retombe sur eux !

Le silence s’étant peu à peu rétabli, l’orfévre poursuivit ainsi :

« — Hier, lorsqu’après le départ de l’ennemi, nous sommes rentrés dans nos bourgs et que l’on a pu remuer les cendres des maisons, l’on a trouvé partout des corps consumés, des enfants à demi brûlés dans les bras de leur mère… Que vous dirai-je : des actes de férocité inouïe ont été froidement commis par les soldats de Louis XIV ! Une femme aveugle et décrépite, objet de compassion, fut tuée en présence de ses quatre enfants et, comme eux, jetée dans les flammes. On a trouvé d’autres enfants horriblement mutilés. Les soldats se faisaient un cruel plaisir de leur couper les membres ; d’autres les lançaient en l’air et les recevaient sur les pointes de leurs baïonnettes ! »

— Des enfants ! de pauvres enfants !… massacre et tuerie ! et ces atrocités ne seront pas vengées ! — cria le boucher dont la voix s’éleva au milieu d’un premier moment de silence, causé par la stupeur et l’épouvante, bientôt suivi d’imprécations impossibles à rendre…

— Écoutez encore, — ajouta Weroëff, — écoutez !

« — On violait les filles en présence de leurs mères, les femmes sous les yeux de leurs époux. Les soldats épargnaient du moins aux victimes de leur brutalité la honte de survivre à l’outrage car les noyant dans le canal ou en les massacrant. »

À ces mots, qui lui retraçaient l’horrible sort de sa sœur, le boucher, au lieu d’éclater de nouveau en imprécations, cacha sa figure entre ses deux mains et se prit à pleurer… L’aspect du douloureux attendrissement de cet homme rude et violent impressionna vivement