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en des temps où rien ne donnait à croire que ce prince deviendrait le cruel oppresseur de ses peuples, — répondit Serdan à Jean de Witt. — En vain je vous ai prédit que cette foi jurée, religieusement respectée par vous, serait au premier jour outrageusement foulée aux pieds par Louis XIV… Avais-je tort ? les événements n’ont-ils pas confirmé mes prévisions ?

— Il est vrai… mais j’aurais regardé comme un crime de prévenir une trahison par une trahison !… Aujourd’hui, la situation est changée… Louis XIV, au mépris de son serment solennel de renonciation, juré lors de son mariage avec l’infante d’Espagne, a envahi les Flandres, brisé sans motif notre alliance, en nous déclarant soudain la guerre sans l’ombre d’un prétexte, en soudoyant enfin l’Angleterre contre la république ; elle se trouve dans le cas de légitime défense et ferait un acte à la fois généreux et politique en prêtant son actif concours aux populations opprimées. L’on suscitera de la sorte de dangereuses hostilités à Louis XIV dans l’intérieur de son royaume ; et, de plus, ainsi que l’a judicieusement fait observer M. Lebrenn, l’on aidera le peuple de France, sinon à briser son joug, du moins à l’alléger. Je vous promets donc d’engager formellement mes amis de l’assemblée des États à prêter l’appui moral et matériel de la république au peuple de France… s’il se soulève et si ce soulèvement est sérieux.

— Oh ! mon père ! — s’écria Nominoë avec l’ardeur enthousiaste et la présomptueuse confiance du jeune âge, — nous porterons un coup mortel au despotisme !… la république est avec nous !…

Salaün Lebrenn, sans partager l’espoir de son fils, dit à Jean de Witt, d’un ton pénétré :

— Au nom de tant d’opprimés qui verront, sinon le terme, du moins l’allégement de leurs misères, soyez béni, monsieur, soyez glorifié ! Vous vous montrez une fois de plus fidèle aux nobles principes de votre vie entière… Notre succès dépassera peut-être mes prévisions, grâce à l’appui de la république ; cet appui, à cette heure,