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— Quoi, monsieur ! — reprit Jean de Witt, — vous dont le sens me paraît excellent, vous qui jugez si sainement les hommes et les choses, vous pousseriez vos concitoyens à cette révolte ; vous y risqueriez votre vie, celle de votre fils, sachant d’avance que cette révolte sera stérile ?

— Permettez, monsieur de Witt, je n’ai pas dit qu’elle serait complètement stérile ; loin de là ! Savez-vous quelle est ma conviction profonde, inébranlable, basée sur des millions de faits analogues, fournis par l’histoire et par les actes de mon obscure famille ? Cette conviction, monsieur, la voici : Parmi les soulèvements ou révolutions populaires dont la France a été le théâtre presque à chaque siècle depuis la conquête de Clovis, ces révolutions, ces soulèvements victorieux ou vaincus, fussent-ils même écrasés dans le sang, ont toujours laissé ou un fruit durable ou un germe fécondé par l’avenir !… C’est grâce à ce progrès lent, laborieux, sanglant mais continu ; c’est grâce à cette lutte acharnée que, pas à pas, d’âge en âge, nos pères, au prix de leur vie, de leur martyre, ont déjà brisé quelques anneaux de leur chaîne ; oui, je le répète, c’est ainsi que d’esclaves ils sont devenus serfs, de serfs vassaux ; aujourd’hui un dernier pas, une dernière révolution peut et doit les affranchir de la vassalité, ce dernier anneau de leur chaîne ! Le soulèvement de Bretagne sera-t-il le prélude de cette suprême révolution ? la verrai-je ? mon fils la verra-t-il ? Je l’ignore, mais, selon le vieil adage, aide-toi, le ciel t’aidera ! — En un mot, monsieur de Witt, afin de revenir au présent et de résumer ma pensée, l’insurrection de Bretagne ne renversera sans doute pas le trône de Louis XIV ; mais, croyez-moi, le roi, la noblesse, le clergé, effrayés de la violence de ce mouvement populaire, seront contraints, si terribles que soient les châtiments dont ils frapperont d’abord la révolte vaincue, seront contraints, par la crainte de nouvelles représailles, d’alléger le joug qu’ils font peser sur les peuples. Cet allégement est une conquête modeste, mais assurée. L’expérience justifiera mes paroles ; ma conviction à