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— Ah ! je le conçois ! l’influence d’une pareille tradition doit être souveraine sur l’esprit de ceux qui la continuent, et tremper fortement leur âme, — dit Jean de Witt. — Je ne m’étonne plus de la fermeté de vos convictions, de la ténacité de vos espérances…

— J’espère invinciblement, monsieur, parce que, à chaque page de la légende de notre famille, je vois écrit le progrès incessant de l’humanité… Oui, monsieur, je crois le moment opportun, du moins en ce qui touche la Bretagne.

— J’admets ce soulèvement probable, imminent, réalisé, — reprit Jean de Witt après un moment de réflexion. — Je vais plus loin, l’insurrection triomphe, la Bretagne, soulevée, est victorieuse…

— J’ajoute, — reprit Serdan, — et j’affirme qu’au signal de l’insurrection de la Bretagne, un pareil mouvement éclate dans la plupart des provinces de France.

— Soit encore. Le soulèvement presque général est victorieux, — dit Jean de Witt, — la monarchie de Louis XIV est en péril, est renversée !… Mais ensuite ? mais le lendemain de la victoire ? vers quelle forme de gouvernement inclineront les esprits ? Quel concert sera possible entre eux ? Et s’ils ne parviennent à s’entendre, que pourra-t-il sortir de ce chaos ?

— Voici, monsieur, l’état au vrai des opinions en Bretagne, — répondit Salaün Lebrenn : — une fraction notable de la bourgeoisie de Rennes et de Nantes appartenant à la religion réformée inclinerait à une république fédérative selon la tradition protestante du siècle dernier ; la majorité des membres du parlement, de la magistrature, et une autre fraction de la bourgeoisie, quoique en exécrant le despotisme de Louis XIV, tiennent cependant à la forme du gouvernement monarchique, mais le voudraient subordonner au pouvoir des États généraux, dont la souveraineté absolue a été pour la première fois solennellement proclamée au quatorzième siècle par Étienne Marcel, et temporairement exercée par une Assemblée nationale lors de la révolution dont ce grand citoyen était l’âme ! En