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de remarquables connaissances variées en histoire et en politique générale…

— Mon ami, — dit Serdan à Jean de Witt, — votre étonnement cessera, si vous réfléchissez à ce fait singulier, dont je crois vous avoir entretenu, à savoir que, depuis des siècles, et fidèles à une antique coutume des Gaulois, les membres de la famille Lebrenn ont écrit d’âge en âge, et légué à leur descendance, le récit de leur vie, si obscure qu’elle fût, et des événements de leur temps…

— Je comprends, — reprit Jean de Witt, — c’est dans cette histoire des siècles passés, histoire pour ainsi dire vivante, que M. Lebrenn a puisé ses connaissances, et si cela se peut, ses opinions, ses espérances ?…

— Oui, monsieur, — répondit Salaün, — ces humbles archives d’une famille tour à tour esclave, serve ou vassale, et qui a souffert de tous les maux, de toutes les misères, de tous les crimes que l’asservissement engendre ; ces récits, souvent trempés des larmes, du sang de nos pères, sont notre histoire de France à nous ! C’est là que, descendants des Gaulois conquis, dépossédés, asservis, nous puisons de génération en génération, et dès l’enfance, notre invincible haine contre ces rois d’origine étrangère à la Gaule qu’ils dominent et oppriment depuis la conquête de Clovis !… Il est peu d’insurrections populaires provoquées par la tyrannie des rois, de la noblesse ou de l’Église, auxquelles l’un des nôtres n’ait pris part grand nombre d’entre eux ont payé de la vie leur révolte !… et lorsque aujourd’hui, mon fils et moi, nous sommes prêts à verser notre sang pour délivrer la France du despotisme de Louis XIV, nous sommes fidèles à la tradition de notre famille ; nous suivons l’exemple de nos aïeux, soldats ou martyrs ignorés de cette lutte acharnée qui se poursuit de siècle en siècle entre les opprimés et les oppresseurs ; quand je dis nous, monsieur, j’entends parler de cette grande famille déshéritée que l’on appelle le peuple de France ! Hélas ! notre légende plébéienne est la sienne !