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avant-hier, les notes relatives à la Bretagne, que m’a confiées à votre intention M. Salaün Lebrenn, capitaine de navire marchand, résidant au port de Vannes, je vous ai dit ensuite dans quelles circonstances j’ai connu M. Lebrenn à Nantes, il y a trois ans ; quelle conformité d’opinions, de religion, d’espérances, nous a dès lors rapprochés ; une correspondance fréquente a resserré nos relations. M. Lebrenn, mieux que personne à même de connaître l’état des choses en Bretagne, et par ses relations de famille et par ses relations commerciales, m’a signalé, dans l’une de ses dernières lettres, des symptômes de mécontentement analogues à ceux que moi et mes amis nous avions remarqués en parcourant le Languedoc, le Dauphiné, le Vivarais, la Guyenne et la Normandie. Frappé de voir le mécontentement envahir ainsi la plus grande partie des provinces de France, j’ai engagé M. Lebrenn à venir à La Haye, afin de conférer avec vous, et je vous ai remis son mémoire sur des faits d’une haute gravité dont la Bretagne est le théâtre… Je n’ai pas besoin d’ajouter que vous pouvez, que vous devez avoir toute créance dans ces renseignements.

— Je n’en doute pas ; car ils concordent de tous points avec d’autres rapports qui me sont aussi parvenus, — répondit Jean de Witt. Et s’adressant à Salaün Lebrenn : — J’ai donc lu votre mémoire, monsieur, avec une sérieuse et scrupuleuse attention ; les faits navrants, souvent horribles, dont il abonde, ne sont, j’en suis certain, nullement exagérés. Ainsi, par exemple, les pilleries, les ravages, les atrocités inouïes que commettent à cette heure les troupes de Louis XIV dans nos provinces ne témoignent que trop des habitudes de rapine, de violence de vos gens de guerre. En résumé, votre mémoire, monsieur, constate, ce me semble, d’une manière irrécusable, que le mécontentement profond dont le progrès en Bretagne est de toute évidence, doit être attribué aux causes suivantes : — les taxes, corvées, redevances écrasantes imposées aux vassaux par les seigneurs et le clergé ; — les mauvais traitements, les emprisonnements, parfois même les exécutions capitales dont les vassaux sont