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madame, je n’aurais rien voulu dire qui put blesser vos susceptibilités nationales… mais la voix des faits est inexorable, et nous autres, du parti français, nous serons peut-être exposés aujourd’hui à autant de dangers que vous le serez vous-même. Je vais essayer de les conjurer autant qu’il est en moi ; souffrez donc que je vous quitte pour aller donner mes ordres à la cavalerie que je commande. — Et après s’être incliné devant la marquise, M. de Tilly ajouta en sortant : — Comptez sur moi, madame, j’accomplirai tous les devoirs de l’hospitalité ; mais si je succombe dans ma lutte contre la force des événements, dont vous et moi pouvons être aujourd’hui victimes, n’accusez que le parjure et l’orgueil effréné du roi de France !

Mademoiselle de Plouernel avait silencieusement écouté cet entretien, et voyant sa tante et l’abbé pâles, tremblants, échanger des regards consternés, la jeune fille leur dit avec une ironie amère :

— Que voulez-vous ? nous ne sommes plus à la cour de Versailles ! Ici, le parjure, l’iniquité, la violence de votre maître, apparaissent dans leur redoutable horreur… Il fait maudire le nom français ! et peut-être aujourd’hui l’exécration méritée qu’inspire en ce pays Louis-le-Grand, au service de qui vous mettiez mon déshonneur, nous coûtera la vie ! Ah ! béni soit Dieu ! il m’a délivrée de la crainte de la mort ! c’est avec joie qu’à cette heure je quitterais ce monde-ci pour aller vivre ailleurs et retrouver ma mère !

La marquise et l’abbé, en proie aux plus vives appréhensions, ne trouvèrent rien à répondre à la jeune fille. Elle devait à sa mère cette haine vigoureuse du mal, cette indépendance de jugement, ces idées si radicalement opposées à celles de la noblesse de cour ; enfin, cette mâle croyance à l’éternité de la vie morale et physique, croyance qui fut celle des Gaulois nos pères. Madame de Plouernel, élevée dans la religion réformée, avait dû embrasser le catholicisme lorsque, très-jeune encore et cédant aux obsessions de son père et de sa mère, elle épousa le comte de Plouernel ; mais, au fond du cœur, elle conserva, malgré son abjuration, ce levain huguenot (ainsi qu’on dit