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moiselle de Plouernel avec une ironie amère, — malgré la part si honorable que ma famille me réservait dans les affaires d’État, je suis et serai toujours, je l’avoue, peu politique, mais j’ai l’amour de l’équité, l’aversion de l’injustice et je ressens pour les opprimés, quels qu’ils soient, autant de compassion que d’invincible horreur pour ceux qui les oppriment ! 


— Mademoiselle, — dit l’inconnu ému et frappé de l’admirable expression des traits de la jeune fille lorsqu’elle prononça les généreuses paroles qu’il venait d’entendre, — un jour peut-être, je vous rappellerai votre vaillante malédiction contre les oppresseurs !

Mademoiselle de Plouernel, fort surprise, allait demander à l’étranger l’explication de ses derniers mots, lorsque M. de Tilly entra dans la salle. Il semblait en proie à une grande inquiétude, et remarquant la présence du nouveau venu, il alla vivement à lui en disant :

— Monsieur Serdan, savez-vous ce qui se passe ?… — Et il lui parla pendant quelques moments à l’oreille, après s’être courtoisement excusé auprès de la marquise, au sujet de cet entretien confidentiel.

— Ce mauvais homme s’appelle Serdan. Ne l’oubliez pas, marquise, — dit tout bas l’abbé ; — ce doit être l’un des ennemis les plus forcenés du roi… n’oubliez pas son nom… Serdan.

— Je me le rappellerai parfaitement, mon cher abbé. Ah ! si nous étions en France, cet insolent coucherait ce soir à la Bastille, et n’en sortirait point. Sa figure est patibulaire !

— Nous ne sommes pas en France, mais nous y serons bientôt, puisqu’il nous faut renoncer au voyage d’Angleterre. J’écrirai dès aujourd’hui à Versailles à qui vous savez… en lui donnant le nom et le signalement de ce Serdan, et s’il met le pied en France, il pourrira dans un cachot… à moins qu’il ne soit pendu !

Mademoiselle de Plouernel retomba dans ses pénibles réflexions, pendant que sa tante et l’abbé échangeaient à voix basse quelques