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membre de la compagnie de Jésus, à laquelle M. l’abbé a l’avantage d’appartenir, ou plutôt d’être affilié… Ces confidences, relatives aux affaires de la république, n’auraient pour vous, mademoiselle, aucun intérêt… Un mot encore, et je termine, — ajouta l’inconnu d’un ton grave et pénétré. — En lisant cette lettre, tombée par hasard entre mes mains, j’ai été révolté du rôle infâme destiné à une jeune fille ignorante de ces machinations et peut-être digne d’un profond respect ; aussi me suis-je promis de l’éclairer sur le ténébreux complot tramé contre elle… Tel a été, mademoiselle, l’unique motif de ma visite céans ; et lorsque, tout à l’heure, j’ai lu sur vos traits la noblesse de votre cœur, je me suis doublement applaudi d’avoir pu vous empêcher de tomber dans un piége odieux.


Un moment de silence suivit la communication de la missive diplomatique de l’abbé Boujaron et les dernières paroles de l’inconnu. La marquise et l’abbé, quoique d’abord atterrés, s’étonnaient de ce que mademoiselle de Plouernel eût écouté la lecture de cette lettre sans la moindre interruption. En effet, la jeune fille restait muette, accablée, le regard fixe, le sein oppressé, les lèvres contractées par un sourire navrant. Elle ne pouvait être surprise de l’infamie des projets dont on espérait la rendre complice, car malgré l’honnêteté de ses mœurs, elle avait été forcément initiée, par son commerce avec les gens de cour, habitués du salon de sa tante, à la connaissance de faits ignobles, parfaitement analogues à celui qui la touchait : époux et pères trafiquant du dérèglement de leurs femmes et de leurs filles ; frères spéculant, ainsi que M. de Vivonne et tant d’autres, sur les honteux désordres de leurs sœurs, et enfin, planant sur le tout, Louis XIV, le grand roi, donnant à sa cour, au peuple, au monde, l’exemple du plus audacieux cynisme dans l’adultère ; non, mademoiselle de Plouernel ne s’étonnait point de ce que l’on eut songé à envoyer près de Charles II une belle jeune fille