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à double sens, lesquels deux sens sont tous deux parfaitement logiques en apparence, mais dont le véritable esprit reste secret entre les correspondants épistolaires, seuls aptes à l’interpréter. Ainsi, par exemple, si l’on veut annoncer à mots couverts la prochaine conclusion d’un traité secret, l’on écrira, je suppose : — J’ai bon espoir de conclure bientôt le mariage de ma fille, etc., etc.

— Évidemment ! — s’écria la marquise, admirant la présence d’esprit et la subtilité de l’abbé. — Ainsi, monsieur l’inconnu, après avoir violé le secret d’une lettre tombée par hasard entre vos mains, vous êtes dans une ignorance complète à l’endroit de la signification réelle de cette dépêche.

— S’il en est ainsi, madame, il ne me reste qu’à confesser mon erreur, reprit l’étranger avec une humilité sardonique, — erreur très-excusable d’ailleurs, et dont mademoiselle de Plouernel voudra bien être juge, — ajouta-t-il en tirant la lettre de sa poche, tandis que l’abbé disait vivement :

— Monsieur, cette lecture est complètement inutile, dès qu’il est établi que cette dépêche ne concerne en rien mademoiselle.

— Sans doute ! — reprit l’inconnu, — il n’est question de mademoiselle que d’une façon énigmatique et mystérieuse ; ainsi, monsieur l’abbé, en écrivant à M. le comte de Plouernel : « — Nous avons tout lieu d’espérer que l’incomparable beauté de votre sœur, causant une vive impression au roi d’Angleterre, lorsqu’elle lui aura été présentée, pourra le décider à… »

— Mais, monsieur, c’est intolérable ! — s’écria la marquise ; — vous abusez outrageusement de notre patience… et vous m’obligez de vous inviter à sortir de céans !

— Monsieur, restez, de grâce, restez ! — dit mademoiselle de Plouernel. Et, après un moment de silence, les traits empreints d’une douloureuse angoisse, elle ajouta d’une voix altérée : — Monsieur, quel est le contenu de cette lettre ?… J’ai le plus grand intérêt à le connaître…