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d’elle quelques nouvelles, me promettant de les ajouter à ma lettre, ayant, à cet effet, retardé de la cacheter… lorsqu’en passant sur une assez grande place, je suis rejoint et bientôt englobé par une foule nombreuse qui s’encourait en vociférant contre messieurs de Witt et les Français…

— Quels messieurs de Witt ? — demanda la marquise ; — sont-ce ces républicains intraitables de qui nous parlait, l’an passé, M. d’Estrade, en revenant de son ambassade en ce pays-ci ?

— Tous deux sont des hommes de Plutarque, selon ce que nous racontait, encore hier, M. de Tilly, notre hôte, — dit mademoiselle de Plouernel sortant de la rêverie où elle était plongée depuis l’entrée de l’abbé, — je ne me lassais pas de l’écouter parler avec une touchante affection des vertus domestiques de ces deux frères, qu’il regarde comme les plus grands citoyens de la Hollande.

— Ma chère fille, — répondit l’abbé, — notre hôte, appartenant au même parti politique que ces messieurs de Witt, a ses raisons pour les placer très-haut… et…

— Mais la lettre, — reprit la marquise avec une angoisse croissante, — la lettre… Comment l’avez-vous égarée, l’abbé ?

— Je me trouvais donc englobé dans ce rassemblement populaire, qui poussait des cris forcenés en courant vers la prison où l’un des frères de Witt a été conduit…

— L’un de ces grands citoyens en prison ! — dit vivement mademoiselle de Plouernel, — et quel est son crime ?

— De grâce, ma nièce, laissez donc à l’abbé le loisir de me répondre, — reprit la marquise, et elle ajouta : — Enfin, cette lettre ?

— Poussé, foulé, bousculé, étouffé par ce flot populaire dont le courant m’entraînait malgré moi, j’ai fait de prodigieux efforts pour fuir cette bagarre, et durant mes soubresauts, les basques de mon habit étant soulevées, ballottées en tous sens, la lettre sera sortie de ma poche, à moins… et je me rappelle maintenant cette circonstance insignifiante… à moins que la lettre ne soit tombée quand j’ai tiré