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de votre naissance s’échappe, ainsi qu’il vous arrive parfois, à ce point de parler d’une façon si étrangement irrévérencieuse du grand roi, notre maître, dont votre frère a l’honneur d’être l’un des plus dévoués serviteurs…

— Ma tante, ne discutons pas, de grâce, les mérites de celui qu’il vous plaît d’appeler votre maître ; jamais il ne sera le mien… Je n’ai qu’un maître, il est au ciel.

— Sans doute ; mais, après Dieu, vient le roi, à qui nous devons une soumission aveugle, un dévouement sans bornes, un pieux respect…

— Un pieux respect !… lorsqu’à Versailles j’ai vu ce roi promener publiquement dans le même carrosse, la reine sa femme, et ses deux maîtresses : l’ancienne et la nouvelle ! mademoiselle de La Vallière et madame de Montespan ! Faut-il donc pieusement respecter tant d’audace dans les mauvaises mœurs ?

— En vérité, ma chère, vous perdez la raison. La violence de votre langage…

— Excusez ma franchise bretonne, mais je ne saurais respecter ce qui m’inspire aversion, dégoût et mépris…

— Encore !…

— Quoi ! ce prince sait combien ses scandaleuses amours affligent la reine ! Il sait combien est amère la rivalité de La Vallière et de Montespan ! Et sans pitié pour les secrets déchirements du cœur de ces trois femmes… parmi elles je ne plains d’ailleurs que la reine ! il les force de dévorer leur outrage, leur jalousie, leurs ressentiments, leur honte ! de paraître côte à côte, à la face de tous ! il les traîne triomphalement après soi, comme s’il voulait glorifier son double adultère ! Ah ! je le répète, cette ridicule infatuation de soi-même, ce grossier oubli de toute pudeur, ce brutal dédain de tout mystère, ce cynisme insolent, cette lâche cruauté envers des femmes, ne sauraient m’inspirer qu’aversion, mépris et dégoût !

— Hé ! ma nièce, dans leur fervente adoration pour leur souve-