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— Je le sais… je sais de plus que le duc des Deux-Ponts, en mourant, a laissé le commandement nominal de ses troupes au vieux Wolfgang de Mansfeld ; mais, de fait, il les a confiées au prince de Gerolstein, l’un des plus jeunes et des plus habiles généraux de la Germanie…

— Ce prince n’en devient que plus dangereux, madame.

— Aussi, cette nuit même, une de mes filles d’honneur devait partir pour…

Les confidences de la reine sont interrompues par la rentrée du page ; il dépose la cassette près de Catherine, et disparaît.

— Vous disiez, madame, — poursuit le père Lefèvre affriandé, — que le Prince de Gerolstein étant doublement dangereux… une de vos filles d’honneur devait ?…

— Non, non… je suis une huguenote forcenée…

— De grâce, madame, assez de railleries ; ces nouvelles si imprévues, si heureuses, dont Votre Majesté me fait part, le saint-père et le roi d’Espagne les ignoraient lorsque je les ai quittés ; or, je vous le déclare, madame, ces événements modifient profondément les termes de la mission dont je suis chargé près de vous.

— Eh ! mon révérend, je ne cesse de dire à l’ambassadeur d’Espagne et au légat du pape en France : « Attendez… laissez-moi faire… patientez… » Mais non… le saint-père obéit à toutes les inspirations des agents du cardinal de Lorraine ; et Philippe II ose rêver le démembrement de la France ! ose se bercer de l’espoir de pousser au trône le jeune Henri de Guise… Ah ! Philippe II joue là un jeu terrible, mon révérend ! Ne voit-il donc pas que renverser la dynastie régnante en France, c’est donner aux peuples un effroyable exemple ? c’est porter un coup mortel aux monarchies ? Ne sont-elles pas déjà assez ébranlées par l’esprit d’indépendance né de la réforme ? Est-ce que les plus audacieux des huguenots ne parlent pas maintenant de se fédérer en république comme les cantons suisses ? Est-ce que déjà, dans leurs livres imprimés à Genève, ils ne proclament