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haines religieuses s’apaisaient à la satisfaction des catholiques honnêtes gens, il en est… L’industrie, le commerce maritime, presque entièrement dévolus aux huguenots, reprenaient leur cours ; les coffres de l’État se remplissaient, j’y puisais à pleines mains ; car, ainsi que la vieille Brunehaut, j’aime passionnément à bâtir de fastueux édifices, à me livrer à toutes les fantaisies d’un luxe effréné ; jugez combien j’avais intérêt à poursuivre l’œuvre de conciliation, et surtout d’enrichissement public, entreprise par L’Hôpital ! Et puis c’était beau… c’était grand, c’était glorieux, disait le bonhomme. Oui, c’était beau, grand et glorieux… Seulement le bonhomme et moi nous mettions en oubli que le progrès pacifique de la réforme, le calme, la prospérité de la France, courrouçaient Rome, désespéraient l’Espagne et ruinaient les ambitieux projets des princes lorrains, chefs du parti catholique ; aussi, que fit François de Guise ? Il ordonna froidement la boucherie de Vassy, et, selon qu’il l’espérait, ce massacre souleva les protestants. Ils coururent aux armes… Les fruits naissants de la pacification furent anéantis, les haines religieuses se rallumèrent plus ardentes que jamais ; alors j’ouvris les yeux…

— Tardivement, madame, trop tardivement…

— Au contraire, mon révérend ; mes relations suivies avec les huguenots m’ont appris à les connaître… Je sais maintenant où… et comment les frapper. Donc, après le carnage de Vassy, l’établissement paisible et fécond de la réforme me parut un rêve ; les passions déchaînées devenaient sans merci ; aucun accord durable n’était désormais possible entre les catholiques pleins de haine et les huguenots pleins de défiance et de ressentiments ; il me fallut prendre ouvertement parti pour ou contre les réformés. En les soutenant, je soulevais contre moi l’Espagne, Rome, l’Église, le parti catholique, majorité énorme, et je donnais aux Guises, ses chefs, une influence qui nous perdait moi et mes fils… Alors je me suis tournée résolûment contre les protestants…