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rendant au berceau de notre famille, près les pierres sacrées de Karnak ; le trajet était court par la voie de terre, mais les guerres religieuses ravageaient aussi la Bretagne à cette époque ; mon père craignait de se hasarder avec sa femme et ses enfants au milieu des partis ennemis. Son beau-frère Mirant, le marin, devant faire la traversée de La Rochelle à Douvres, proposa à mon père de l’embarquer avec nous sur son brigantin, nous n’aurions ainsi à redouter aucun des dangers qu’offrait la route de terre ; le navire relâcherait à Vannes, port très-voisin de Karnak, et, notre pèlerinage accompli, nous mettrions à la voile pour Douvres, où mon père expédiait souvent des armes, et il visiterait son correspondant dans cette ville ; notre oncle Mirant prendrait son chargement de marchandises, et nous reviendrions en France, après une absence de deux ou trois semaines. Mon père accepta cette proposition avec joie. Peu de temps avant notre départ, ma sœur Marguerite fut atteinte d’une maladie peu dangereuse, mais qui ne lui permit pas cependant d’être du voyage, dont le jour était forcément fixé ; mes parents la laissèrent à la garde de sa marraine, excellente femme, mariée à Jean Barbot, maître chaudronnier (vous admirerez sa vaillance, fils de Joel, lors du siége de La Rochelle). Nous partîmes pour Vannes, à bord du brigantin du capitaine Mirant. La santé de ma sœur Marguerite se rétablit ; sa marraine la conduisait souvent à la promenade en dehors des remparts. Un jour, elle jouait avec d’autres petites filles dans un endroit planté d’arbres, elle s’écarta de dame Barbot ; lorsque celle-ci s’aperçut de l’absence de sa filleule, il était trop tard : Marguerite avait disparu ; il fut impossible de la retrouver, malgré les plus actives recherches ; en vain notre famille s’efforça de deviner le motif de l’odieux enlèvement d’une enfant de cet âge ; elle fut cruellement regrettée de nous tous, l’incertitude où nous étions sur sa destinée rendait ces regrets encore plus pénibles. Notre pèlerinage à Karnak, berceau de la famille de Joel, me causa, quoique bien jeune, une impression profonde, ineffaçable ; plus tard, je reviendrai sur les conséquences de ce