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fond sur le cardinal, — le duc d’Albe, général espagnol, commanderait en chef les troupes françaises ?

— Il commanderait nominalement, madame ; il aurait immédiatement sous ses ordres mon frère d’Aumale et mon neveu Henri de Guise.

À cette proposition de livrer le commandement des troupes royales au duc d’Albe, âme damnée de Philippe II, avec qui le cardinal machinait ténébreusement, et d’adjoindre au duc pour lieutenants le frère et le neveu du prélat, de remettre ainsi l’armée française entre les mains de Philippe II, son perfide allié, et des princes lorrains, capables de tout pour satisfaire leur audacieuse ambition, Catherine de Médicis demeura impassible, ne témoigna ni surprise, ni indignation, ni courroux ; elle parut seulement réfléchir et reprit :

— Ceci n’est pas de tout point inacceptable… — Et voyant les traits du cardinal trahir imperceptiblement sa joie secrète, malgré son empire sur lui-même, la reine ajouta : — Mais il faudrait alors retirer à mon fils d’Anjou le commandement de l’armée ?

— Il faudrait surtout, madame, l’éloigner de ses détestables conseillers…

— Sans doute… si vos renseignements sur ce complot sont fidèles, ce dont je n’ose malheureusement douter… Cependant, je l’avoue, j’éprouverais quelque répugnance à mettre le duc d’Albe à la tête de notre armée.

— N’ai-je pas eu l’honneur de dire à Votre majesté que, dans ce cas, mon frère et mon neveu seraient adjoints au duc ?

— Croyez-vous donc, monsieur le cardinal, que, sans la condition expresse de l’adjonction de MM. d’Aumale et de Guise au général espagnol, j’aurais un instant prêté l’oreille à une pareille ouverture ? — répondit l’Italienne avec une incroyable force de dissimulation, dont le prélat fut complètement dupe, car il reprit vivement :

— Ah ! madame, croyez que le trône n’a pas de plus fidèle soutien que la maison de Guise.