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La bruyante hilarité des demoiselles d’honneur, excitée par ce dernier trait, attire enfin l’attention d’Anna-Bell ; ses traits sont empreints d’une tristesse profonde, ses yeux humides de larmes ; elle craint d’être l’objet des railleries de ses compagnes, essuie furtivement ses pleurs, se lève et se rapproche lentement des autres jeunes filles.

clorinde de vaucernay. — Nous sommes un peu comme le diable, nous autres, nous rions de tout… Seule entre nous, Anna-Bell, tu es aussi triste qu’une femme qui verrait revenir son mari ou partir son galant.

anna-bell, s’efforçant de sourire. — Oubliez-moi, de même que la femme oublie son mari… Je suis en un jour de tristesse.

berthe de verceil, avec malice. — Peut-être le souvenir d’un mauvais rêve ?

anna-bell, rougissant. — Non… Ne ressent-on pas souvent et sans cause de vagues impressions chagrines ?… Puis, je ne suis pas, vous le savez, d’un naturel fort gai.

diane de sauveterre, vivement. — Ah ! mon Dieu ! en parlant de rêve, j’en ai fait un, et des plus affreux ! Notre escorte était attaquée par ces bandits huguenots qui se nomment les Vengeurs d’Israël, et dont on raconte tant de férocités…

berthe de verceil. — Leur chef n’est-il pas, dit-on, un damné borgne ? Acharné aux prêtres, ce monstre leur enlève la peau du crâne… il appelle cela les ordiner cardinaux ! les coiffer de la calotte rouge !

clorinde de vaucernay. — Ah ! c’est à frissonner d’épouvante !

diane de sauveterre. — Si nous tombions entre les mains de ce réprouvé ! Pourtant, nous avons entendu une messe spéciale pour le bon succès de notre voyage ; oh ! j’ai prié sans distraction, cette fois, car les huguenots sont sans pitié !

berthe de verceil. — Vaines craintes, ma mie ! M. Neroweg de Plouernel commande notre escorte ; il est habile homme de guerre ;