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clorinde de vaucernay. — De fait, avant notre départ de Paris, Langeais ne la quittait pas plus que son ombre… Tant d’amour succéder à tant de haine… c’est à peine croyable !… Cependant des incrédules osent encore douter de l’efficacité des philtres amoureux… Et toi, Anna-Bell, es-tu de ces incrédules ?

anna-bel, soupirant. — L’amour sincère est le seul philtre qui puisse opérer des prodiges !…

En ce moment, Berthe de Verceil, quatrième fille d’honneur de la reine, vient rejoindre ses compagnes. Elle est d’une beauté mâle et brune, d’une taille élevée ; ses abondants cheveux noirs, ses sourcils prononcés, donneraient à sa figure un certain caractère de dureté si un sourire d’une joyeuse ironie n’effleurait ses lèvres purpurines estompées d’un léger duvet brun. Elle est superbement vêtue d’une robe de damas ponceau et d’une cotte blanche semée de fleurs d’or ; son chaperon, de pareille étoffe, est orné d’un cordon de rubis. Elle tient à la main plusieurs feuillets de papier et dit gaiement à ses compagnes :

— Je veux partager avec vous ma bonne fortune.

diane de sauveterre. — Que veux-tu dire ?

berthe de verceil. — Ce matin, vous le savez, au moment où nous montions à cheval, arrivait de Paris un page que m’envoyait mon cher et beau Brissac… ce page m’apportait des dragées, des fleurs conservées fraîches à miracle, et une lettre des plus amoureuses. Mais ce n’est pas tout ; cette lettre, que j’ai pu lire seulement tout à l’heure, contient… trésor inestimable… les pasquils les plus nouveaux, les plus mordants !

diane de sauveterre. — Oh ! la bonne aubaine ! Et contre qui sont-ils, ces pasquils ? 


berthe de verceil. — Innocente !… Contre qui seraient-ils, sinon contre la reine, contre M. le cardinal, contre la cour, contre nous ?

clorinde de vaucernay. — Les malins nous ménagent peu… Nous sommes du moins chansonnées en grande et royale compagnie.