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de la reine à l’un des capitaines de chevau-légers commis à la garde du monastère par le comte Neroweg de Plouernel ; après les coureurs parut une avant-garde, puis plusieurs escadrons de pesants gendarmes, au centre desquels se trouvait la litière royale, fermée de rideaux de velours violet brodé d’or et portée par deux mulets aussi harnachés de velours violet ; une seconde litière, moins richement ornée, vide alors, était réservée à celles des filles d’honneur qui seraient fatiguées de la chevauchée ; mais toutes quatre et leur gouvernante avaient achevé la route montées sur de belles haquenées splendidement caparaçonnées de velours brodé rehaussé des armoiries de la maison de France. Des pages, des écuyers, suivaient les filles d’honneur ; puis s’avançait la litière du cardinal, enveloppée de rideaux de taffetas pourpre et entourée des principaux officiers de ce prince de l’Église de Rome. Jugez, d’après la somptuosité de pareils voyages et des énormes dépenses qu’ils entraînaient, jugez ! fils de Joel, de la lourdeur des impôts qui écrasaient la Gaule !

Peu de temps avant d’entrer dans la cour de l’abbaye, le prélat entrouvrit les rideaux de sa litière et fit mander près de lui, par l’un de ses gentilshommes, le commandant en chef des troupes de l’escorte. Charles de Guise, cardinal de Lorraine, avait alors quarante-six ans ; sur ses traits, d’une régularité remarquable, mais flétris par la débauche et de monstrueux excès, on lisait la finesse, la ruse, et surtout un orgueil rayonnant d’insolence et d’audace. Bientôt le comte Neroweg de Plouernel, mandé par le prélat, s’approcha de sa litière.

— Monsieur, — lui dit le cardinal d’un ton impérieux et bref qui cachait ses appréhensions, car sa couardise était proverbiale, — monsieur, vous répondez de la sûreté de la reine et de la mienne !

— Je le sais, monsieur le cardinal.

— Avez-vous pris toutes vos précautions ? On parle plus que jamais de cette bande de partisans huguenots commandés par un forcené surnommé le Borgne ; la férocité de ces scélérats justifie le nom qu’ils se sont donné ; ces vengeurs d’Israël ainsi qu’ils s’appellent, sont