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ments partiels favorables aux Huguenots, le duc des Deux-Ponts parvint, le 9 juin à rejoindre en Poitou l’armée de Coligny. Celui-ci, grâce à ce renfort de troupes allemandes, résolut de pousser activement la campagne. C’est à cette époque, vers le milieu du mois de juin 1569, que commence, fils de Joel, la légende suivante.


L’abbaye de Saint-Séverin, située sur la route de Limoges, à peu de distance de la petite ville de Malraye, appartenait à l’ordre de Saint-Bernard ; c’était, avant le commencement des guerres religieuses, un splendide monument édifié des mains de Jacques Bonhomme, ainsi que tant d’autres innombrables moutiers dont est couvert le sol de la Gaule. Jacques Bonhomme, en digne vassal de l’Église, transportait sur son dos ou à l’aide de ses maigres bœufs, au grand dommage de la culture de ses guérets, délaissée pour cette pieuse corvée, les pierres, les charpentes, le sable, la chaux nécessaires à la bâtisse des fastueuses demeures monacales, où il apportait ensuite la dîme de son grain, de ses bestiaux, de ses volailles, de ses œufs, de son beurre, de son vin, de son huile, de ses toisons, de son miel, de son lin, enfin la prime fleur de tout ce qu’il produisait avec tant de labeur ; puis venaient les corvées : labourer, ensemencer, sarcler, moissonner les terres du couvent, entretenir viables les chemins du couvent, faucher les prés du couvent, curer les étangs du couvent, faire le guet et payer au besoin de sa personne pour défendre le couvent contre quelques bandes de routiers ou de malandrins, en retour de quoi, lorsque, épuisé par la fatigue, le travail, les privations, Jacques Bonhomme, ne pouvant plus sustenter sa misérable vie, allait à la porte du plantureux monastère tendre humblement son écuelle, les moines la remplissaient chrétiennement des eaux grasses de leur succulente cuisine ; puis, lorsque, agonisant, le vassal de l’Église mourait sur la paille infecte de sa tanière, les bons pères de lui dire : « — Dieu a créé l’homme pour la douleur et la mi-