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et il ne t’épousera pas davantage après que tu auras été souillée : il y a donc une chance presque certaine pour que cet homme reste célibataire ; ainsi s’éteindra en lui le dernier rejeton mâle de la famille Lebrenn, cette exécrable race dont je descends, et que je répudie avec horreur, parce que depuis des siècles, ennemie obscure, mais acharnée de l’Église de Rome et des rois, elle pourrait perpétuer dans sa descendance ce levain de révolte et d’impiété… Tu dois comprendre à cette heure pourquoi, si tu n’abjures pas, je t’abandonnerai à ton sort… Et maintenant, regarde ce sablier… — ajoute fra‑Hervé, désignant de son doigt décharné le clepsydre placé sur la table près de la tête de mort. — Si, lorsque le sable aura descendu, tu n’as pas résolu d’abjurer à l’instant et de partir cette nuit même pour un couvent de mon choix, où monseigneur le duc d’Anjou te fera conduire et où tu finiras tes jours dans le secret le plus absolu, tu seras dans quelques moments victime de la brutalité des soldats…

Et le moine, appuyant son coude sur la table, son menton dans sa main, reste muet et suit d’un regard fixe l’évolution du clepsydre.

Cornélie n’en doute plus, surtout depuis qu’elle sait l’inexorable désir de fra‑Hervé au sujet de l’extinction de la famille Lebrenn ; Cornélie n’en doute plus, elle n’a rien à attendre de la pitié de ce prêtre ; elle doit sur l’heure apostasier, renier sa foi, aller s’ensevelir dans un cloître, renoncer à revoir jamais son père et son fiancé ; sinon, elle subira les derniers outrages… L’infortunée ne peut même échapper à cette effroyable alternative en se donnant la mort… ses jours sont et seront forcément sauvegardés contre elle-même… — Que faire ? — se demandait la jeune protestante, — que faire en cette extrémité ?

— La moitié du sablier est déjà écoulée ! — dit fra‑Hervé de sa voix sépulcrale ; — décide-toi… il est temps… il est temps !…

À ce lugubre avertissement, Cornélie sent sa raison se troubler de plus en plus… cependant, une seule pensée lucide domine ce vertige croissant et obsède l’esprit de la jeune fille… c’est la pensée de mettre