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meté des réponses de la Rocheloise et de la chaste expression de son mâle et beau visage, pressent que la virginale pureté de l’âme de Cornélie doit égaler son intrépidité ; il réfléchit pendant un instant, un affreux sourire effleure ses lèvres, et il reprend : — Tu dois être une fille de bonnes mœurs… comment t’es-tu si facilement décidée à te rendre aux propositions du marquis à mon sujet ?

— Ce matin, conduite à la tente de ce capitaine, l’on m’a laissée seule ; j’ai vu là des armes, parmi elles une courte dague, je pouvais la cacher sous l’écharpe qui soutenait mon bras blessé… J’ai pris cette dague, et, dans l’espoir de pouvoir te frapper, j’ai feint de consentir aux offres de ton favori…

— Je comprends… Nouvelle Judith, tu voyais en moi un nouvel Holopherne ! Soit ; mais les ressentiments ne m’aveuglent point… tout respire en toi le courage, la franchise, l’honneur, la chasteté… Vrai Dieu ! ma fille, tu m’intéresses… Tu as voulu ma mort… eh bien, moi… bon catholique… je veux que tu vives…

— Quoi ! monseigneur, cette misérable échapperait au supplice ! — s’écria le marquis de Montbar, non moins stupéfait que les autres courtisans, tandis que Cornélie, frémissant, se disait :

— Malgré moi, la clémence d’un fils de Catherine de Médicis m’épouvante…

— Oui, mignon, je suis en un jour de miséricorde, — répond d’une voix doucereuse le duc d’Anjou, s’adressant à son favori. — Je pratique l’évangélique morale de Jésus, notre Sauveur, je rends le bien pour le mal ; or, je lui veux tant de bien à cette fière républicaine, digne des temps de Sparte et de Rome ; or, dis-je, je lui veux tant et tant de bien à cette vaillante et chaste fille… que voici à quoi je la condamne sur l’heure… On va lier les mains de cette vierge héroïque, la surveiller de façon à ce qu’elle ne puisse attenter à ses jours ; puis… on la livrera aux goujats du camp… Elle est fort belle, et, par la mort-Dieu ! ces coquins feront chère lie !… — Le duc d’Anjou, lançant alors un regard féroce à la jeune protestante : —