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en lambeaux par cette superbe robe ; de quoi me plaindrais-je ?…

— Et puis… avoue-le, friponne, lorsque je t’ai appris que le duc d’Anjou, d’après le portrait que je lui ai fait de toi, voulait te voir, ton orgueil s’est réjoui ?

— Monseigneur…

— Allons, ne baisse pas ainsi les yeux… Sois sincère, tu serais glorieuse d’être… ne fût-ce que pour un jour… la maîtresse du frère du roi de France ? Et pourtant, tu bataillais contre nous comme une lionne…

— Il nous faut bien, monseigneur, obéir à nos pasteurs et suivre le commun exemple, sous peine d’être décriée.

— Ces pasteurs sont d’assommants coquins, n’est-ce pas ?

— Leur morale est très-austère et très-sévère…

— Or, une belle fille comme toi doit préférer une morale plus commode qui prêche le plaisir et l’amour… Mais te voilà rêveuse ; à quoi songes-tu ?

— Encore une fois, monseigneur, tout ce qui se passe ici me semble un rêve… Non ! vous vous raillez d’une pauvre fille ; monseigneur le duc d’Anjou ne songe pas à moi.

— Dans un instant, tu le verras, te dis-je ; il est, à cette heure, en conférence avec fra‑Hervé, son confesseur.

— Fra‑Hervé ! — reprend Cornélie, ne pouvant vaincre un léger tressaillement, malgré l’incroyable empire qu’elle a jusqu’alors gardé sur elle-même, — fra‑Hervé le cordelier ?

— Tu le connais ? — demande M. de Montbar. Puis il ajoute, sans attendre la réponse de Cornélie et se tournant vers la porte de la tapisserie, encore abaissée : — J’entends marcher dans la pièce voisine… c’est sans doute monseigneur.

À peine le marquis a-t-il prononcé ces mots, que la draperie se soulève et donne passage au duc d’Anjou. Il est âgé de dix-huit ans ; la mollesse, l’afféterie de sa démarche, ses traits efféminés, quelque