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à une anxiété douloureuse, tandis que ses compagnes s’écriaient autour d’elle, avec frayeur et désespoir, suivant d’un regard consterné la manœuvre des navires :

— Tout est perdu !…

— Les brigantins virent de bord et regagnent la haute mer !

— Ils n’osent forcer la passe, où l’un d’eux vient d’être démâté !

— Quoi ! le capitaine Mirant fuir sans engager le combat, sans riposter ! fuir sans tirer un coup de canon !… Est-ce croyable ?…

— Lui toujours si intrépide !…

— Plus d’espoir !… le blé nous venait… il s’en retourne !…

— Allons, pêchons aux sourdons, désormais la seule ressource de La Rochelle !…

— Nous attendions mieux de la bravoure du capitaine Mirant !…

Cornélie, navrée d’entendre mettre en doute l’intrépidité de son père, gardait un pénible silence, et, d’un regard encore incrédule, suivait la manœuvre de retraite des vaisseaux ; mais bientôt elle s’écria, dans un élan d’orgueil filial :

— Non ! mon père ne fuit pas lâchement le combat !… Voyez, voyez… En se retirant, pour un moment sans doute, hors de la portée des batteries, il a fait remorquer le bâtiment démâté, afin de ne pas le laisser exposé au feu de l’ennemi… Non, le capitaine Mirant ne fuit pas le combat ! Ne voyez-vous pas maintenant ses navires rester en panne, au lieu de regagner la haute mer ?

L’observation de Cornélie, dès longtemps familiarisée avec la science nautique par suite de ses navigations à bord du vaisseau de son père, ranima l’espoir des Rocheloises ; leurs regards se tournèrent avec anxiété vers l’entrée de la rade… Mais, hélas ! aucune d’elles ne s’aperçut que des soldats de l’armée royale, sortis depuis quelque temps de la redoute de Chef de Baie et protégés par l’ombre et par l’élévation des rochers, qui s’étendaient à droite de la plage, se glissaient silencieusement en embuscade derrière ces blocs massifs.

— Que vous disais-je ? — s’écria Cornélie. — Les brigantins font