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l’on n’a le loisir de pleurer ses morts qu’après les avoir vengés. Le triomphe du jour ne délivre pas des appréhensions du lendemain ; l’assaut si vaillamment repoussé par les gens de La Rochelle pouvait être renouvelé le jour suivant, grâce aux réserves de l’armée royale, dont une faible partie avait concouru à l’attaque du bastion de l’Évangile. Le conseil de ville convia tous les citoyens valides à s’occuper activement de réparer la brèche durant la nuit, à la faveur du clair de lune, et d’élever de ce côté de nouveaux travaux de défense ; il fallait aussi préserver la ville des horreurs de la famine. Les brigantins du capitaine Mirant, chargés d’un ravitaillement de poudre de guerre et de blé, ne paraissaient pas en haute mer, quoiqu’une faible brise de sud-est se fût élevée au coucher du soleil ; l’on avait distribué les derniers sacs de fèves aux combattants, exténués de besoin, de fatigue. Cette distribution suffisait à peine à calmer les angoisses de leur faim ; aussi afin d’assurer l’alimentation du lendemain, les femmes et les enfants furent, par ordre des échevins, convoqués à la porte des Deux-Moulins, vers une heure du matin, moment de la marée basse, heure favorable pour recueillir les sourdons. Cette pêche offrait aux assiégés de précieuses ressources ; mais elle était aussi périlleuse qu’une bataille, la redoute de Chef de Baie, élevée par les royalistes à l’extrémité de la pointe de terre qui s’avançait dans les eaux de la rade, pouvant, de ses canons, balayer la plage où l’on irait pêcher les coquillages. Le beffroi de l’Hôtel de ville tinta plusieurs coups vers une heure du matin ; à ce signal convenu, les Rocheloises de toute condition, accompagnées d’enfants de dix à douze ans, chargés, comme elles, de paniers, se rendirent à la porte des Deux-Moulins, où les avaient déjà devancées la femme et les deux filles du maire Morisson, qui des premières donnaient l’exemple du dévouement à l’intérêt commun. Ainsi, pendant que les Rochelois réparaient activement la brèche, leurs femmes, leurs enfants, sortaient de la ville, afin de pourvoir à la subsistance de tous. Cornélie Mirant, quoique blessée à l’épaule, voulut, malgré les