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Rochelois ont le temps de recharger leurs pièces, une nouvelle canonnade, aussi meurtrière que la première, redouble les pertes et l’indécision des assaillants. Le vieux maréchal de Montluc, Biron, Cosseins, raffermissent le courage ébranlé de leurs troupes, les enlèvent, les entraînent ; et, laissant derrière elles morts et blessés, elles traversent le fossé, presque comblé, répondent par leurs arquebusades à celles des assiégés en gravissant le talus de la brèche, sous le feu croisé des casemates, dont les tireurs prennent l’ennemi en flanc, tandis que les compagnies formées sur les remparts l’accueillent de front par une grêle de balles. Les royalistes, malgré des pertes considérables, continuent de gravir le talus de la brèche. Le franc-taupin et son aide Serpentin, jusqu’alors couchés à plat ventre derrière un monceau de décombres, et ainsi protégés contre les arquebusades, se redressent et regagnent à toutes jambes le chemin de ronde, après avoir mis le feu à la mèche du fourneau ; à peine sont-ils à l’abri, que la mine éclate sous les pieds de l’ennemi. Une effroyable explosion soulève une trombe de terre, de poussière et de pierres, mêlée de jets de feu, fulgurants comme des éclairs à travers les tourbillons d’une épaisse fumée ; elle se dissipe… l’on voit alors la pente du talus coupée par une déchirure profonde dont les abords sont jonchés de morts, de mourants, de corps mutilés, de membres épars… Les soldats d’avant-garde échappés au désastre, saisis d’épouvante, tournent casaque, refluent sur le centre, le culbutent, y jettent la panique, en criant que le trajet de la brèche est partout miné sous les pas des assiégeants ; à ces mots, les rangs se débandent, se confondent, la déroute commence. Les canonniers rochelois, tirant à coups redoublés, font de larges trouées à travers cette masse compacte de fuyards qui entraînent ses chefs, malgré leurs ordres, leurs prières, leurs menaces ; tandis que le franc-taupin, debout près de l’une des embrasures du rempart et croisant tranquillement ses mains derrière son dos, disait à maître Barbot :

— Voyre ! compère, têtes, bras, troncs, jambes, ont dansé la sa-