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cheur, surnommée la Bombarde, depuis que, durant le siége, ayant, ainsi que d’autres Rocheloises, pris part à une sortie, cette amazone, transperçant deux canonniers avec l’un de ces tridents acérés dont se servent les pêcheurs pour harponner les gros poissons, avait encloué une bombarde de sa main ; le teint hâlé par la bise de mer, le front ceint d’un bandeau cachant une plaie à peine cicatrisée, les bras et les jambes nues, d’une stature robuste et élevée, la Bombarde, seulement vêtue d’une vieille jupe de laine rouge, par-dessus sa chemise de grosse toile, brandissait d’une main son trident, et criait d’une voix éclatante : — Du pain pour nos enfants et pour nos hommes ! Morisson ! Morisson !

— Du pain ! du pain ! — Nous voulons parler au maire ! — Morisson ! Morisson ! — répétait la foule féminine, dont la masse compacte encombrait les abords de l’un des pavillons de l’Hôtel de ville ; sa porte ouverte laissait apercevoir une voûte où aboutissaient les degrés conduisant à la salle du conseil de l’échevinage ; aussi la Bombarde et ses compagnes, lasses d’appeler le maire à grands cris, se disposaient à envahir l’Hôtel de ville, lorsque Morisson parut sous la voûte ; il s’avança vers la foule : aussitôt les cris diminuèrent de violence, car le maire était à la fois aimé, craint et respecté ; encore dans la vigueur de l’âge, il portait un corselet et des brassards de fer ; une lourde épée pendait à son côté ; il s’élança sur l’un des montoirs de pierre placés de chaque côté de la porte, réclama d’un geste le silence, l’obtint, et s’adressant à la foule d’une voix sonore, ferme, mais paternelle :

— Mes enfants ! le conseil est assemblé… Je n’ai pas de temps à perdre… Déléguez-moi l’une d’entre vous, elle me dira ce que vous désirez de moi… je répondrai…

La Bombarde, acclamée tout d’une voix la déléguée de ses compagnes, se fit jour parmi elles, et s’approchant de Morisson :

— Maire ! nous avons faim et nous demandons du pain ! les boulangers n’ont plus ni blé ni farine… les étals des bouchers sont fer-