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dangereux, puisque ceux qui en étaient chargés, sortant de la ville par la porte des Deux-Moulins, devaient aller entasser des combustibles autour de la carène du navire, malgré les arquebusades des soldats qui le gardaient, cette audacieuse expédition n’exigeant d’ailleurs aucune aptitude militaire, mais seulement un grand courage, fut dévolue aux Rocheloises, à leur demande instante et unanime : « Il fallait, — disaient-elles, — réserver pour la bataille le sang et la vie des hommes, si numériquement inférieurs aux assiégeants. » — Ces vaillantes se réunirent au nombre d’environ trois cents et d’une assez grande quantité d’enfants de dix à douze ans qui voulurent accompagner leurs mères ; cette troupe se composait de bourgeoises, de dames nobles, d’artisanes, de servantes, de femmes de pêcheurs et de marchandes. Parmi celles-ci se trouvaient au premier rang, je le dis avec fierté, ma mère, ma sœur Thérèse Rennepont et Cornélie Mirant, ma fiancée, depuis peu de retour d’une navigation sur les côtes de Bretagne à bord du brigantin de son père. Vers trois heures du matin, elles sortirent de la ville, portant, selon leurs forces, des fascines de bois sec et des bottes de paille ; le vent était violent, une nuit profonde favorisait leur marche, guidée, entre autres, par la femme d’un pêcheur, surnommée la Bombarde depuis que, lors de l’une de nos dernières sorties, cette intrépide a, de sa main, encloué l’une des bombardes ennemies. Habituée à la pêche aux sourdons (coquillage très-abondant et très-nourrissant), la Bombarde connaissait les passages praticables au milieu des roches et des sables mouvants des grèves, et elle dirigea les pas des autres Rocheloises au milieu des ténèbres avec une incroyable sagacité. Cornélie m’a ainsi raconté ce matin les événements de la nuit :

« — Grâce à l’obscurité de la nuit, au bruit du vent et au profond silence de notre marche, nous nous sommes approchées à une portée d’arquebuse de la carène du vaisseau, sans donner l’éveil aux royalistes. Ta mère, s’avançant l’une des premières, entre Thérèse et moi, et enfonçant souvent, comme nous, dans