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cachant sa figure entre ses mains, murmura : — Mon Dieu ! mon Dieu !…

La fermeté, la résolution du caractère de Louis Rennepont, étaient connues de tous ; l’affliction, l’abattement d’un homme de cette trempe, devaient annoncer quelque grande calamité publique. Ceux qui le revoyaient si changé, si accablé, sentirent leur cœur douloureusement oppressé ; l’on craignait de n’apprendre que trop tôt une sinistre nouvelle ; chacun gardait le silence. Il fut interrompu par la veuve d’Odelin ; elle dit à Rennepont d’une voix grave et émue :

— Louis, le Seigneur ne nous a pas jusqu’ici épargné les dures épreuves… nous avons plus d’une fois plié sans rompre sous des coups aussi imprévus que cruels… comptez sur notre courage… Qu’avez-vous à nous apprendre ?

— Ma mère, — répond Rennepont, qui donnait cette appellation filiale à la mère de sa femme, — vous souvenez-vous de ce projet infernal de Catherine de Médicis, surpris par la pauvre Anna-Bell pendant l’entretien de la reine et du père Lefèvre, disciple de Loyola ?

— Grand Dieu ! — s’écrie Antonicq, — ce projet de massacrer tous les protestants, désarmés par la paix…

— Ce massacre commencé à Paris, sous mes yeux, pendant la nuit de la Saint-Barthélemy, — répond Louis Rennepont avec effort, — ce massacre dure encore à cette heure dans la plupart des grandes villes de France…

À ces mots de Louis Rennepont, une exclamation d’horreur et d’épouvante s’échappe de toutes les poitrines ; puis un silence funèbre règne dans l’armurerie, tandis que Thérèse, s’élançant au cou de son mari, l’enlace de ses bras, le serre contre son sein, en murmurant d’une voix étouffée :

— Tu étais à Paris, et tu as échappé au carnage… Béni soyez-vous, mon Dieu ! — Et la jeune femme, joignant les mains avec ferveur, tombe agenouillée près du berceau de son fils et s’écrie :