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» Ces allèchements tenaient les sujets sous le joug. Ainsi les peuples assotis, trouvant beaux ces passe-temps, amusés d’un vain plaisir qui leur passait devant les yeux, s’accoutumaient à servir aussi niaisement, mais plus mal que les petits enfants, qui, pour voir les luisantes images des livres enluminés, apprennent à lire.

» Les Romains tyrans s’avisèrent encore de festoyer souvent la populace, qui se laisse aller, plus qu’à toute chose, au plaisir de la bouche. Le plus entendu de tous n’eût pas quitté son écuelle de soupe pour recouvrer la liberté de la république de Platon ! Les tyrans faisaient largesse du quart de blé, du sextier de vin, du sesterce ; et lors, c’était pitié d’ouïr crier : Vive le roi ! Ces lourdauds n’avisaient pas qu’ils ne faisaient que recouvrer une partie du leur ; et que cela même qu’ils recouvraient, le tyran ne leur eût pu donner, si auparavant il ne leur avait point ôté à eux-mêmes. » (Pages 112-113-114.)

— « Le plus entendu de tous n’eût pas quitté son écuelle de soupe pour recouvrer la liberté de la république ! » — répéta le capitaine Mirant. — Le trait est sanglant et navrant de vérité ! Les hommes deviennent brutes s’ils sacrifient tout à leurs appétits grossiers ! Mais exécration aux tyrans ! ils excitent ces appétits, afin de dominer le cœur par le ventre, l’esprit par les yeux, en attirant le peuple à ces fêtes, à ces carrousels, amusements honteux de sa servitude, payés du fruit de ses labeurs !

— Va, pauvre Jacques Bonhomme ! — ajoute le franc-taupin, — remplis ta panse et tends le dos ! paye le gala ! ronge les os et crie largesse !… Ah ! si tu savais ! si tu voulais ! d’un coup d’épaule tu mettrais bas le tyran et ses cohortes !

— Non, non ! — reprend Antonicq, — ne croyez pas que nos tyrans, Catherine de Médicis et Charles IX, soient surtout défendus par leurs arquebusiers d’ordonnance, par leurs chevau-légers et leurs gens d’armes… non, non !