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ques, de tournois, de carrousels, de processions, dont quelques voyageurs nous faisaient le récit, à leur retour de Paris ?

— Oui… et nous écoutions ces récits comme ceux d’un voyage au pays des fées, — répond Cornélie. — Nous nous demandions comment le peuple pouvait se montrer si joyeux à Paris, courir à ces fêtes données sur ces places encore rougies du sang des martyrs, encore chaudes de la cendre des bûchers !

— Cornélie, — dit Antonicq, fier et ému des nobles paroles de sa fiancée,— les tyrans règnent moins peut-être par la force qui épouvante que par la corruption qui déprave… Témoin ces profondes et effrayantes paroles de la Boétie :

« ……… La ruse des tyrans pour abêtir leurs sujets ne se peut connaître plus clairement que par ce que Cyrus fit aux Lydiens, après qu’il se fut emparé de Sardes, la maîtresse ville de Lydie, et qu’il eut pris à merci Crésus, ce tant riche roi, et l’eut emmené captif. On apprit à Cyrus que les Sardins s’étaient révoltés, il les eut bientôt réduits sous sa main ; mais ne voulant pas mettre à sac une tant belle ville, ni être toujours en peine d’y tenir une armée pour la garder, il s’avisa d’un grand expédient pour s’en assurer. Il y établit des maisons de débauche, des tavernes et jeux publics, et fit publier un édit qui ordonnait aux habitants de fréquenter ces mauvais lieux ; il se trouva si bien de cette garnison, qu’il ne lui fallut jamais depuis tirer l’épée contre les Lydiens. » (Page 110.)

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« Aussi, ne pensez pas qu’il y ait nul oiseau qui se prenne mieux à la pipée, ni poisson aucun qui, pour la friandise, s’accroche plus vite à l’hameçon que tous les peuples ne s’allèchent vitement à la servitude pour la moindre plume qu’on leur passe (comme on dit) dans la bouche. Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes étranges, les médailles, les tableaux et autres drogueries, étaient, aux peuples anciens, l’appât de la servitude, le prix de leur liberté, les outils de la tyrannie.