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d’un seul, dira-t-on qu’ils ne veulent point, qu’ils n’osent pas se prendre à lui, et que c’est, non couardise, mais plutôt mépris et dédain ? Alors, quel monstre de vice est ceci, qui ne mérite pas encore le titre de couardise, qui ne trouve de nom assez vilain, que nature désavoue avoir fait, et la langue refuse de le nommer ? » (Pages 1 et 2.)

Cette éloquente malédiction contre l’aveuglement des peuples asservis arrache un cri d’admiration à tous les membres de la famille Lebrenn, et Antonicq interrompt pendant un moment sa lecture.

— Ah ! le livre a raison ! — dit d’une voix grave la veuve d’Odelin. — Quel monstre de vice est donc celui-là, qui courbe des milliers d’hommes sous le joug d’un seul ? Ce n’est pas lâcheté ? Les plus lâches, se voyant mille contre un, ne craindraient pas de l’assaillir… le livre a raison… quel est donc ce vice sans nom ?

— Sœur, — reprend le capitaine Mirant, — quand je navigue en haute mer avec mon brigantin, je suis un contre tous mes mariniers ; cependant, dociles et respectueux, ils obéissent à tous mes ordres. Pourquoi cela ? Parce qu’ils ont foi à mon expérience ; parce qu’ils savent que seul je puis diriger la route du navire par l’observation des astres, le guider à travers les écueils, commander la manœuvre pendant la tempête ; leur servitude volontaire à mon égard les honore et m’honore. Mais que des peuples subissent volontairement la tyrannie d’un seul homme qu’ils méprisent, qu’ils abhorrent et qui les écrase… voilà ce qui est la honte de l’humanité ! Aussi, je dis comme toi, sœur, et comme le livre… quel monstre de vice sans nom est donc celui-là ?

— Mon oncle, — reprend Antonicq, — écoutez encore ces admirables pages sur la condition servile que le peuple s’impose pour ainsi dire à lui-même :

« C’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix d’être sujet ou d’être libre, quitte sa franchise pour le joug, qui consent à son mal ou plutôt le pourchasse. S’il devait