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brassant, — nous vous tenons… vous ne nous échapperez plus[1]. » Ces paroles à double sens prononcées par un jeune homme de vingt et un ans à peine devaient éveiller de terribles soupçons dans l’esprit de l’amiral ou l’aveugler complètement ; elles l’aveuglèrent. Cette loyale et grande âme ne pouvait supposer tant d’audace, et surtout tant de compromettante audace dans la trahison. Charles IX et sa mère s’entretinrent longuement avec Coligny de ses projets sur les Flandres ; afin d’augmenter sa confiance et celle des protestants (car l’on ne tenait encore que l’amiral ), le roi lui rendit sa place aux Conseils de l’État, et vers cette époque, des catholiques trop impatients ayant massacré des huguenots à Rouen et à Orange, Catherine de Médicis fit rigoureusement sévir contre les coupables, prévenant ainsi les récriminations de Coligny. Celui-ci, de plus en plus rassuré, fit partager sa confiance croissante à Jeanne d’Albret en lui écrivant souvent ; il voyait, comme elle, dans l’union d’Henri de Béarn et de la sœur du roi, un gage certain de l’affermissement de la paix. Il engagea la reine de Navarre à se rendre à la cour afin de conclure ce mariage si désirable ; elle n’hésita plus, et pleine de foi dans la sagesse et l’expérience de l’amiral, elle quitta La Rochelle, y laissant cependant son fils auprès de son cousin, le jeune prince de Condé : elle éprouvait encore un reste de vague défiance. Le 4 mars 1572, Jeanne d’Albret arrive à Paris ; Charles IX l’accueille non moins tendrement que Coligny, et l’appelle :

« — Sa grand-tante, son tout, sa mieux aimée ! »

Puis le soir il dit en riant à Catherine de Médicis :

« — N’ai-je pas bien joué mon rôlet, ma mère ? Laissez-moi faire, je vous les amènerai tous au filet ![2] »

Des conférences s’ouvrent au sujet de l’union projetée ; Jeanne d’Albret s’attendait à de graves objections sur ceci : — que ni elle ni son fils ne voulant entendre parler de messe, ils exigeaient que le

  1. Registre-Journal de l’Étoile, supplément, p. 23.
  2. Id., p. 24.