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père se voit perdu ; cependant il tente de fléchir son bourreau et s’écrie suppliant :

— Hervé ! mon frère ! j’ai une femme, des enfants ; cette nuit, je vous ai sauvé la vie !…

— Seigneur ! — s’écrie le prêtre d’une voix pantelante en levant ses yeux flamboyants et son coutelas vers le ciel tonnant, sillonné d’éclairs, — Dieu vengeur ! reçois en holocauste le sang de ce Caïn !…

Et fra‑Hervé se précipite sur son frère, le renverse, s’accroupit sur sa poitrine, le saisit d’une main aux cheveux, et de l’autre brandit son coutelas… Odelin pousse un cri d’horreur, ferme les yeux, tend la gorge… Le fratricide est accompli !… Fra‑Hervé se relève couvert du sang de son frère, crosse du pied le cadavre, et s’élance sur son cheval en hurlant :

— Tuez tout ! Égorgez tout !…

À cet épouvantable spectacle, mes esprits, jusqu’alors tenus en suspens par la terreur même, m’abandonnent, et je perds complètement connaissance.


Lorsque je sortis de mon évanouissement (moi, Antonicq Lebrenn), j’étais couché sur la paille, dans notre armurerie à Saint-Yrieix ; le franc-taupin et le colonel de Plouernel me veillaient. Ils m’apprirent l’issue de la bataille de La Roche-la-Belle, funeste aux royalistes, complètement battus en cette rencontre. Le violent orage de la veille, suivi d’une pluie torrentielle, ne permit pas à l’amiral de Coligny de poursuivre l’armée catholique dans sa retraite ; les protestants, victorieux, rentrèrent le soir à Saint-Yrieix. Le franc-taupin et les Vengeurs d’Israël, ramenés par les mouvements de la bataille vers le lieu où j’étais étendu sans mouvement sous mon cheval, près du cadavre de mon père, égorgé par fra‑Hervé, m’avaient reconnu et placé sur l’une des charrettes destinées au transport des munitions de