Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ennemi l’approche des protestants. Le colonel de Plouernel, désespéré de cette infraction aux ordres si sages de l’amiral, essaya d’abord de rétablir le silence en s’adressant aux premières compagnies ; vains efforts, vaines suppliques, les soldats s’exaltaient à leur propre voix.

— Ah ! l’indiscipline nous sera toujours fatale ! — dit M. de Plouernel à Antonicq ; — nous avons ainsi presque toujours compromis ou perdu des batailles dont le succès était certain ! L’ennemi est instruit de notre approche ; annonçons-la du moins résolument ! — Et s’adressant aux tambours : — Enfants ! battez la marche redoublée !

Le tambour résonne aussitôt, sans couvrir la voix des protestants, accompagnement militaire et imposant. La colonne accélère son pas ; après une demi-heure de marche, ses premiers rangs débouchent dans la prairie. Les premières lueurs du soleil, perçant un amoncellement de sombres nuages, rougissaient les eaux dormantes d’un vaste étang où venait se déverser un cours d’eau alimenté par plusieurs ruisseaux descendant d’une vallée dominée par le bourg de La Roche-la-Belle. Cette rivière et cet étang, bornés du côté du camp royal par un retranchement, formaient la première ligne défensive de l’ennemi ; une épaisse châtaigneraie s’étendait à gauche de l’étang ; sa chaussée, s’avançant à angle droit, était fortifiée d’un parapet de terre aux embrasures armées de sacres et de fauconneaux ; cette artillerie légère pouvait balayer dans toute sa longueur le cours d’eau qu’il fallait traverser pour attaquer une enceinte palissadée, crénelée de meurtrières pour l’arquebuserie et complétant la défense du campement des catholiques. Enfin, à droite, plusieurs pièces de grosse artillerie, assises sur un coteau assez élevé, pouvaient aussi battre la rivière ; feux croisés qui rendaient ce passage doublement périlleux ; mais ce péril eût été presque écarté par l’exécution des ordres de l’amiral ; car la colonne d’attaque, arrivant silencieuse au point du jour, surprenait les royalistes endormis, et avant que ceux-ci eussent eu le temps de courir aux armes, aux canons, de former leurs rangs,