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— Jugez que de souvenirs pour nous, colonel. Ah ! que de souvenirs !

— Eh bien, mon enfant, je songeais dernièrement que votre désir et celui de votre père pourraient se réaliser.

— Comment cela ?

— Fils puîné de ma famille et objet de son exécration parce que, obéissant à la voix de ma conscience, j’ai embrassé la réforme…

— Ah ! colonel… quand je pense qu’à Jarnac, sans le dévouement de deux de vos soldats, vous tombiez, déjà blessé, sous l’épée de votre frère, le comte Neroweg de Plouernel ! — dit Antonicq. Et se rappelant la lutte récente de son père contre fra‑Hervé, il ajoute en soupirant : — Ah ! ces haines fratricides sont l’un des maux les plus affreux des guerres religieuses !

— Oui, c’est affreux ! — reprit M. de Plouernel, d’un air sombre ; — car, j’en jure Dieu… si jamais mon frère ou son fils… — Le colonel s’interrompit et ajouta : — Mais chassons ces odieuses pensées ; à quoi bon prévoir de terribles nécessités ? N’est-ce pas assez de s’y résigner… l’heure venue ?… Je vous le disais, mon enfant, à mon frère seul appartiennent, en vertu de son droit d’aînesse, les immenses domaines héréditaires de notre famille en Auvergne et en Bretagne ; mais le père de ma chère femme, Jocelyne, bon et brave Breton bretonnant, possède quelques biens situés non loin des pierres de Karnak, au bord de l’Océan, et, selon ce que votre père m’a raconté de vos légendes, cette métairie doit se composer en partie des champs de votre aïeul Joel le Brenn, de la tribu de Karnak ; or, si Dieu veut que nous ayons la paix, rien ne me serait plus facile que d’obtenir du père de ma femme la cession, soit par vente, soit à loyer, de quelques-unes de ces terres où vous pourrez vous établir avec votre famille.

— Ah ! colonel… vous devoir le bonheur de vivre en Bretagne ! près du berceau de notre famille ! avec mon père… ma mère, mes sœurs et Cornélia, ma fiancée devenue ma femme !