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conduit par son frère jusqu’aux dernières limites du camp, fra‑Hervé disparaissait à travers les ténèbres en jetant un dernier cri de haine, de vengeance et d’anathème contre son libérateur.

Odelin retourna précipitamment à son logis afin de rassurer sa fille et de l’embrasser avant de marcher au combat ; mais Anna-Bell, laissant une lettre sur l’enclume de l’armurerie, avait disparu…


L’armée protestante, forte d’environ vingt-cinq mille hommes, a quitté Saint-Yrieix vers une heure du matin dans un profond silence. La masse noire et mobile de cette longue file de bataillons et d’escadrons se distingue à peine au milieu de la demi-obscurité de la nuit, faiblement éclairée par le scintillement des étoiles ; la colonne suit les courbes de la route blanchâtre qui se perd à l’horizon dans la direction de La Roche-la-Belle, campement des royalistes. La marche mesurée des fantassins, la trépidation sonore de la cavalerie, le cliquetis des armures, le roulement cahoté de l’artillerie, se confondent en un seul bruit sourd et imposant ; des éclaireurs, l’œil et l’oreille au guet, le pistolet au poing, précèdent de beaucoup l’avant-garde. À la tête de cette avant-garde s’avance l’amiral de Coligny, ayant à ses côtés deux adolescents : Henri de Béarn, fils de la vaillante Jeanne d’Albret, reine de Navarre ; et Condé, fils du prince assassiné par Montesquiou ; d’autres chefs protestants, et parmi eux Lanoüe et Saragosse, accompagnent aussi l’amiral. Il monte ce jour-là un vaillant cheval turc, gris d’argent, blessé sous lui à Jarnac, et qu’il préfère à toute autre monture ; une légère maille de fer couvre le col, le poitrail et la croupe du fier animal. M. de Coligny porte son armure de fer bruni sans ornement ; ses bottes fortes montent jusqu’à la naissance de ses cuissards ; sa casaque flottante, en drap blanc et à larges manches, laisse apercevoir sa cuirasse ; à son baudrier de cuir est suspendue sa vieille épée de bataille ; la crosse de ses longs pistolets sort de ses arçons. Il chevauche voûté par l’âge, par le chagrin, par la