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doute retourner au combat ; les vêtements, le cheval du page mort aujourd’hui, sont ici… je supplierai son ami de… — Et après un moment de réflexion : — Oui, mon projet réussira… Cet adolescent ne repoussera pas ma prière… à cet âge on est bon… compatissant… — Remarquant alors sur le manteau de la cheminée quelques feuillets de papier, une plume et de l’encre contenue dans un débris de vase, Anna-Bell ajoute en soupirant :

— Ô mon père ! ô mon frère ! malgré vos mépris, votre aversion, vous aurez mes dernières pensées !


Hervé Lebrenn, cet incestueux qui leva sur sa mère une main parricide, fra‑Hervé le cordelier, ainsi qu’on l’appelait dans l’armée royale, ne méritait que trop son nom de prédicateur fougueux, de chef de partisans implacable ; ses sermons d’une farouche éloquence, ses férocités à la guerre, inspiraient aux catholiques une admiration fanatique ; blessé, puis fait prisonnier lors des derniers engagements de la journée, on l’a conduit garrotté à Saint-Yrieix et renfermé dans un caveau ténébreux. La porte de cette prison s’ouvre ; la lueur d’une lanterne dissipe en partie les ténèbres de ce lieu souterrain. Fra‑Hervé, assis sur le sol et adossé à la muraille, voit entrer un homme enveloppé d’une mante brune, son capuchon écarlate, complètement rabattu, cache le visage du visiteur nocturne ; ce visiteur est Odelin Lebrenn ; il referme la porte, dépose à terre son fallot, et, en proie à de cruelles émotions, il contemple silencieusement son frère qui ne l’a pas encore reconnu ; il le revoit pour la première fois, depuis ce jour où, encore adolescent, et revenant d’Italie avec maître Raimbaud, l’armurier, il a involontairement assisté au supplice de sa sœur Hêna et de frère Saint-Ernest-Martyr… Hervé aussi assistait sous son froc au supplice de sa sœur en compagnie de fra‑Girard, son démon tentateur !

Odelin Lebrenn regardait avec une muette horreur son frère pri-