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brusque revirement, la jeune fille cherchait en vain à deviner la cause ! Quelle était cette fatale découverte dont Antonicq venait d’instruire son père et qui semblait exciter tout à coup son indignation, son courroux ? Anna-Bell n’avait-elle pas fait les aveux les plus sincères ? de quoi pouvait-on l’accuser encore ?… En proie à une anxiété croissante, son esprit se troubla ; elle se sentit presque défaillir voyant son père prendre à la hâte son épée, son casque et s’apprêter à sortir en disant à Antonicq : — Donne-moi ma cape…

Le jeune homme alla prendre sur la litière de paille une ample et longue mante de gros drap brun à capuchon écarlate, dont se servent communément les Rochelois, aida son père à endosser ce vêtement par dessus son armure ; puis, se coiffant de son casque, et sans adresser un regard à sa fille qui, tremblante, effrayée, suivait tous ses mouvements ; Odelin se dirigea rapidement vers la porte, disant à Antonicq d’une voix altérée :

— Ah ! c’est à maudire sa naissance et la mienne !

— Il est donc vrai, mon père !… mon frère !… vous maudissez le jour où je suis née !… Je vous fais horreur… vous m’abandonnez !… — murmurait Anna-Bell d’une voix déchirante, tombant à genoux devant le seuil de la porte, après le brusque départ d’Odelin et d’Antonicq, sortis de la maison sans paraître songer à la présence de la jeune fille.

Anna-Bell pleura longtemps… Ses larmes taries, elle envisagea l’avenir avec une sinistre résolution ; elle se croyait un objet de dégoût, d’aversion pour son père et pour son frère ; abandonnée d’eux, un abîme infranchissable… l’honneur !… la séparait pour toujours de Frantz de Gerolstein, elle n’avait donc plus qu’à mourir… Soudain un éclair de joie brille dans ses yeux rougis par les larmes ; elle se redresse et se dit :

— Oui, mourir ! mais mourir sous les yeux de Frantz… mourir pour lui peut-être comme ce jeune page tué tantôt en se jetant au-devant du coup qui allait frapper son maître… L’armée va sans