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Tel était le trouble d’Antonicq, que, sans répondre à sa sœur, sans jeter les yeux sur elle, il l’écarta même légèrement de la main, en se rapprochant de son père, et l’emmenant au fond de la salle, il l’entretint à voix basse avec animation. Anna-Bell, douloureusement surprise de se voir presque repoussée par son frère, qui n’avait pour elle ni une parole, ni un regard, alors qu’elle lui exprimait sa joie de le voir revenu sain et sauf de la bataille, se crut méprisée de lui.

— Hélas ! pensa la fille d’honneur, — mon frère ne me pardonne pas le passé… l’âme d’un père seule est capable d’indulgence… Grand Dieu… si ma sœur… si ma mère, devaient aussi m’accueillir avec dédain… ou aversion ? Ah ! j’aimerais mieux mourir que de m’exposer à tant de honte !

Antonicq continuait de parler bas à son père ; soudain celui-ci frémit et cacha sa figure entre ses mains. Un profond silence se fit… Anna-Bell, ressentant de plus en plus ces ombrageuses défiances que la conscience d’une faute inspire à une âme repentante, se crut l’objet de l’entretien mystérieux de son père et de son frère ; les traits d’Odelin rembrunis, courroucés, exprimaient le dégoût, l’indignation, il ne put retenir ces mots murmurés avec un douloureux accent :

— Pourtant, malgré ces horreurs révoltantes, je lui suis attaché par un lien sacré ! Ah ! maudit soit ce jour qui nous aura rapprochés ! maudite soit cette fatale découverte ! Mais ce dernier devoir accompli… que le ciel me délivre à jamais de son odieuse présence !… Écoute ! — ajouta l’armurier, en baissant de nouveau la voix et s’adressant à son fils : — tel est mon projet…

Tous deux poursuivirent leur secret entretien. Anna-Bell fut persuadée qu’il s’agissait d’elle en entendant son père s’écrier : — « Malgré ces horreurs révoltantes, je lui suis attaché par un lien sacré mais le dernier devoir accompli, que le ciel me délivre à jamais de son odieuse présence ! » — Et cependant quelques instants auparavant Odelin lui témoignait la plus tendre indulgence. De ce