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Anna-Bell pendant un moment avec une tendre et silencieuse curiosité, Odelin reprit : — Oui, ta douce beauté est bien celle que promettait ta mine charmante… Ah ! que de fois j’ai quitté mon enclume et mon marteau pour caresser ta tête blonde ! Tes cheveux ont bruni… beaucoup bruni… tu étais, dans ton enfance, blonde comme ma pauvre sœur Hêna… plusieurs de tes traits rappellent les siens ; elle et moi, nous nous ressemblions ! mais ce sont toujours tes beaux yeux bruns veloutés… leur couleur n’a pas changé… Je retrouve ta fossette au menton… l’on en voyait aussi deux petites au coin de tes joues, lorsque tu riais… et tu riais toujours…

— Ah ! j’étais heureuse alors ! — murmura la jeune fille, en songeant avec d’amers regrets à ces jours d’innocence ; — j’étais près de vous, mon père… près de ma mère… et depuis… — Anna-Bell n’acheva pas et fondit en larmes.

— Ciel et terre ! — s’écria l’armurier dont les traits naguère épanouis s’assombrirent, — penser que tu as mendié ton pain !… pauvre enfant… battue peut-être par cette Bohémienne qui t’a enlevée à notre tendresse…

— Mon père, — reprit la jeune fille avec une expression navrante, — ces jours de misère n’ont pas été mes plus mauvais jours… que ne suis-je restée mendiante…

— Je comprends ta pensée, malheureuse enfant ! — Et frappant du pied avec fureur, Odelin ajouta : — Oh ! reine infâme ! c’est toi, monstre ! qui as corrompu ma fille !… — Puis, après un douloureux silence, Odelin reprit : — Tiens… je t’en conjure, ne parlons plus du passé… tâchons de l’oublier à jamais…

— Hélas ! mon père, si votre clémence oublie, ma conscience se souviendra… chaque jour elle me dira que je suis la honte de ma famille… Mon Dieu ! la rougeur me monte au front à la seule idée de paraître devant ma sœur… devant ma mère !

— Ta mère ! Mais tu ignores donc les trésors d’amour, d’indulgence, de pitié… que renferme le cœur d’une mère ? Mais tu vien-