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dont était accompagné l’armurier, rentra dans la salle basse. Odelin conduisit sa monture dans une écurie où logeaient aussi les chevaux de Frantz de Gerolstein, et se hâta de venir rejoindre sa fille ; elle s’élança vers lui, baisa respectueusement sa main et lui dit : — Grâce au ciel, mon père, vous êtes sain et sauf… mais mon frère ?

— Rassure-toi, — répondit Odelin en embrassant tendrement sa fille, — Antonicq n’est pas blessé ; il escorte, ainsi que d’autres volontaires, plusieurs prisonniers que l’on amène au camp… Pauvre enfant ! ton anxiété a dû être grande depuis que je t’ai quittée ?…

— Ah ! je comptais les heures… les minutes…

— Encore ! embrasse-moi encore ! — reprit Odelin les larmes aux yeux en tendant ses bras à sa fille et la serrant passionnément contre lui. — Ô divine puissance du bonheur ! il apporte avec lui l’oubli du passé ! Je te retrouve, fille chérie… en un jour, des années de chagrin sont effacées !…

Anna-Bell, contenant à peine ses larmes, répondit avec l’effusion de la reconnaissance aux caresses d’Odelin ; son ineffable clémence ne se démentait pas. — Mon père, — lui dit-elle, — voulez-vous qu’en l’absence d’Antonicq je vous aide à vous désarmer ? votre cuirasse doit vous peser…

— Merci, mon enfant, — répondit l’armurier en allant allumer un fallot suspendu au mur, afin d’éclairer la salle basse déjà envahie par les ombres de la nuit ; puis ôtant son casque et débouclant son ceinturon, il revint près de sa fille et reprit : — Je resterai armé ; M. l’amiral a donné l’ordre aux troupes de prendre quelques heures de repos et de se tenir prêtes à marcher à tout événement.

— Mon Dieu… on va donc encore se battre !

— J’ignore les projets de M. de Coligny, je sais seulement… et c’est là pour moi l’important… je sais que nous avons quelques heures à passer ensemble. Assieds-toi là, chère enfant, en face de la lumière de ce fallot, que je te voie bien à loisir… car, ce matin, les larmes à chaque instant obscurcissaient mes yeux… — Et ayant contemplé