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— Il n’y a pas eu de bataille, mademoiselle… mais un vif engagement d’avant-poste, les royalistes ont été écharpés ! — Puis le jouvenceau, étouffant un soupir, ajouta, les larmes aux yeux : — Malheureusement, mon pauvre camarade Wilhem, l’un des pages de monseigneur le prince de Gerolstein, a été tué dans l’une de ces escarmouches… je ramène son cheval…

— Et le prince ? — demanda vivement Anna-Bell. — Le prince n’a-t-il pas été blessé ?

— Non, mademoiselle, je précède monseigneur ; il va rentrer au camp avec ses escadrons, — répondit le page en descendant de cheval ; et il reprit avec un nouveau soupir, tandis que de grosses larmes roulèrent sur ses joues : — Pauvre Wilhem… je l’ai vu mourir…

Anna-Bell, rassurée sur la vie de Frantz de Gerolstein, eut un mot de compassion pour la douleur du page, et lui dit : — Je vous plains, monsieur… perdre un ami de votre âge…

— Ah ! mademoiselle… je l’aimais tant… il est mort si vaillamment ! Un arquebusier mettait le prince en joue… Wilhem se jette au-devant du coup… et reçoit la balle en pleine poitrine…

— Généreux enfant ! — dit Anna-Bell ; et elle ajoute dans sa pensée : — Mourir pour Frantz !… sous ses yeux !… Ah ! c’est un sort digne d’envie…

— Pauvre Wilhem ! — continua tristement le page, — ses dernières paroles ont été pour sa mère ; il m’a prié de lui remettre, si je retourne jamais dans notre pays, une écharpe brodée par elle, et qu’il a laissée dans notre logis avec ses habits de gala…

Anna-Bell, à ces derniers mots du page, parut frappée d’une idée subite ; mais, voyant de loin venir Odelin au grand trot de son cheval avec d’autres cavaliers, elle s’écria : — Voilà mon père ! Merci à vous, mon Dieu ! il n’est pas blessé ! Mais je n’aperçois pas mon frère !

Anna-Bell, n’osant, par réserve, paraître aux yeux des étrangers