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sur le passage de ce misérable ; ils se jettent à la bride de son cheval ; j’accours. — Tu as empoisonné M. l’amiral, — lui dis-je à brûle-pourpoint. La surprise, l’épouvante, le remords… car ce misérable s’est repenti… lui arrachent aussitôt l’aveu de son crime. « — C’est vrai, — répond-il, — et je me repens. Le duc d’Anjou m’a offert une grosse somme si je voulais empoisonner mon maître… J’ai consenti… On m’a donné le poison, et je suis revenu ici pour commettre le meurtre[1]. » À ces mots, laissant mon fils près de Dominique, je suis accouru ici, monsieur l’amiral… Vous savez le reste…

— Monsieur Lebrenn, — dit Coligny, en serrant avec effusion les mains d’Odelin, — il y a trente ans et plus, j’ai vu votre digne père à l’une des premières réunions des réformés dans les carrières de Montmartre ; j’étais bien jeune alors, et votre père, artisan de l’imprimerie de Robert Estienne, avait déjà vaillamment servi notre cause… Il m’est doux de vous devoir la vie… à vous, son fils…

— Le canon !… — s’écrie soudain Lanoüe en prêtant l’oreille à un grondement sourd et lointain, apporté par la brise matinale. — Je ne me trompe pas… c’est le canon…

— Nicolas, — dit Coligny, sans témoigner de surprise, — regarde à mon horloge de poche ; il doit être près de dix heures ?

— Oui, monsieur l’amiral, — répond l’écuyer, après avoir consulté l’horloge, — il est bientôt dix heures.

— La Rochefoucauld a ponctuellement exécuté mes ordres. Nous ne pouvons tarder à voir arriver l’un de ses officiers… Lanoüe, préparons-nous à monter à cheval, — dit M. de Coligny ; et se tournant

  1. «… Pendant que M. l’amiral était au camp, Dominique, l’un de ses valets de chambre, convaincu d’avoir voulu empoisonner son maître, fut pendu… Pris par La Rivière, capitaine des gardes du duc d’Anjou, il avait été accablé de promesses : on lui avait fait tout espérer, s’il voulait empoisonner son maître. Dominique y consentit, reçut de l’argent, une poudre empoisonnée, et vint retrouver M. de Coligny… » (De Thou, Hist., livre LXV, p. 626-627, t. V. Voir le même historien pour l’empoisonnement du duc des Deux-Ponts, Dandelot, etc.)